
L'accompagnement au développement social
Attitude et positionnement plus que méthode
Accompagner au développement, c'est apporter ses compétences seulement si elles sont sollicitées ; veiller au choix précis de la direction pour éviter l'errance et laisser gravir le sentier, avec ses creux et ses bosses, en étant simplement aux côtés ; donner la main pour passer un cap quand cela s'avère nécessaire.
Accompagner vers un autre état, dans l'accueil, l'ouverture et la présence à ce qui est
Par moment, il arrive que nous quittions l'agitation quotidienne pour laisser place au silence et à l'observation tranquille de ce qui nous entoure. Le calme s'installe en nous et nous percevons alors comme une porte s'ouvrant sur un espace intérieur peu connu, parfois même oublié, qui nous réjouit ou qui nous effraie selon notre capacité à lâcher prise. Si nous laissons faire, nous nous sentons attirés par ce lieu où tout semble paisible et doux. Se manifeste l'envie de s'y installer comme dans un cocon prometteur de nouvelles sensations. Des images, des sons, peuvent venir et dévoiler notre potentiel créateur.
Pour moi, le rôle de l'accompagnant se situe dans cette perspective ; permettre à la personne ou au groupe de s'extraire du quotidien et des habitudes de penser, d'être, souvent conditionnées par l'environnement et les expériences précédentes. Créer un espace symbolique et concret ouvert et sécurisant, où il n'y aucun danger et où les participants se sentent bien ; un espace spécifique où eux-seuls peuvent entrer et cocréer.
La première condition : créer un espace relationnel nouveau, ouvert et protégé qui permet à chacun de quitter ses vieux schémas ou représentations comme l’on quitte dans certains lieux de recueillement, ses chaussures chargées de poussière des vieux chemins, pour cueillir et construire les éléments d’un nouveau repère.
Est-ce magique ? Oui dans la mesure où l’on a l’impression que « ça se fait tout seul ».
Non, parce que l’on connait les conditions pour que cette alchimie puisse se produire.
Accompagner. Simplement. Mais c’est ça qui est difficile car c’est : être là, sans rien vouloir pour l’autre (ou les autres), sans rien attendre de l’autre.
Être là, présente, ouverte, disponible, attentive à la seule mission qui m’a été confiée : accompagner le groupe à la réalisation de son projet.
Étant dans cette position, je crée un espace d’accueil et de disponibilité et je me porte garante de la pérennité et de la qualité de cet espace tout au long de ma mission. Qui refuserait d’entrer dans un tel espace et de le partager lui-même avec d’autres ?
Puis les aider à pénétrer au cœur d'eux-mêmes, de leur désir profond, de leurs aspirations, quittant les contraintes et les pressions multiples ; condition nécessaire pour laisser venir de nouvelles idées, l'émergence de la création de soi et de ce que l'on souhaite.
au niveau du sens, ACCOMPAGNER c'est :
- connaître, écouter, la personne ou le groupe, dans ce qu'il est aujourd'hui, dans sa recherche, dans son désir, et dans ce qu'il produit (sa production d'actes ou d'écrits).
- repérer ce en quoi il est assuré : ses convictions, ses acquis, ses compétences et ses capacités ; ce qui le préoccupe : ses difficultés, ses interrogations, ses manques
- guider dans la définition des objectifs poursuivis, des étapes à franchir, des moyens à mettre en œuvre pour les réaliser
- aider à la clarification et à la décision collective dans un groupe
à la garantie de la bonne réalisation
- veiller à l'ouverture de l'espace de paroles et d'échanges et à l'auto-régulation
Ce peut être aussi :
- assurer moi-même la régulation, en complément de l'auto-régulation du groupe quand il y a carence de cette fonction dans le groupe
- aider à la définition du cadre de travail et rappeler, éventuellement, la référence à ce cadre
- participer à l'évaluation permanente de l'adéquation entre ce qui a été décidé et ce qui a été réalisé et faciliter l'expression des causes de difficultés ou de réussites et aider, éventuellement, aux réajustements nécessaires.
- en ce sens, cela signifie être tiers extérieur garant des décisions du groupe
Dans le concret, c'est aussi :
- élucider le sens, reconnaître les différentes hypothèses, trouver les cohérences
- donner mon avis, faire des propositions
- susciter la réflexion,
les questionnements
des actes, des méthodes, des moyens
- apporter, selon la demande et la situation, de la théorie
de la méthodologie
Il s'agit donc d'aider à la création et à la mise en œuvre des conditions nécessaires à la réalisation et à la réussite du travail choisi.
La consultante est garante de la réalisation effective de sa mission et des conditions de réalisation que le groupe a définies ; c'est-à-dire qu'elle a à veiller et guider dans :
- la clarification des objectifs et la compréhension des consignes que le groupe se donne
- la réalisation : veiller à ce qu'il y ait bien production
- production collective ou validation collective sur la production réalisée
- veiller à la participation et à la place de chacun
Cette fonction d'accompagnement s'appuie sur des savoir-faire, mais elle est avant tout une posture, une attitude, un positionnement.
En matière de développement social comme pour la participation des habitants, chacun peut utiliser des outils méthodologiques appris ou créés-ajustés par lui-même. Cependant, j'ai compris que l'essentiel se trouvait dans l'attitude et le positionnement de l'animateur-accompagnateur, beaucoup plus que dans la méthode.
Un exemple me vient en mémoire quand j'aborde cette question. Il y a très longtemps, lorsque j'étais responsable de circonscription d'action sociale à Étampes, il y avait un cours d'alphabétisation dans un quartier et ouvert aux femmes issues de l'immigration. Nous en discutions avec l'éducatrice de prévention qui connaissait quelques-unes de ces femmes et était surprise de constater qu'après plusieurs années, elles ne parlaient toujours pas français. Nous ne comprenions d'autant moins que les outils pédagogiques utilisés étaient très performants et les meilleurs de l'époque. Discutant avec ces femmes, l'éducatrice s'est aperçue que l'animatrice de ce cours était une ancienne directrice d'école primaire et qu'elle avait maintenu une attitude de "maîtresse d'école" classique, du style "je sais et vous ne savez pas", donc dans un positionnement de supériorité, peut-être même d'autorité, allant complètement à l'opposé des outils-méthode qu'elle utilisait, dynamiques et responsabilisants. Elle n'avait pas compris qu'elle était dans un autre cadre pédagogique et qu'elle devait s'y adapter. L'attitude en contradiction avec la méthode était inopérante, voire bloquante.
Par la suite, je me suis aperçue moi-même que, plus je lâchais en moi les peurs de l'égo et le vouloir réussir, plus j'étais dans une attitude d'écoute et de réceptivité, laissant l'espace à l'autre qui pouvait ainsi prendre sa place et s'ouvrir à lui-même en sécurité. Laisser le groupe trouver lui-même les réponses aux questions et apporter mes connaissances en complément de sa démarche mais sans jamais me substituer à lui.
Cette façon d'être était nécessaire lorsque je travaillais en tant qu'assistante sociale auprès d'une personne ou d'une famille mais je percevais plus tard, que cela l'était encore plus dans l'accompagnement d'un groupe où la moindre erreur est plus difficile à réparer.
L'effacement de soi, de l'égo en tant que dominant, est la condition indispensable pour être à la juste place dans ces actions de développement et de participations des habitants. La réflexion d'aujourd'hui est la même que celle du départ des années 1970 : quelles que soient les méthodes utilisées, bonnes ou moins bonnes, l'essentiel se trouve dans le positionnement et l'attitude de l'intervenant. Agir dans le sens de la participation et du développement de l'autre suppose de lui laisser toute sa place et de respecter son chemin, son rythme, même si ce n'est pas celui que l'on avait envisagé. Cela veut dire, être dans une relation d'égalité et non dans un rapport d'autorité ou de supériorité quelconque.
Je distingue volontairement attitude et positionnement.
Le positionnement est la posture intérieure de la personne. C'est : ce que je suis intérieurement, psychologiquement et présentement, dans l'écoute, dans la bienveillance, l'attention, la considération ? ou autre ?
L'attitude est la posture physique et corporelle. Est-ce que ma manière de parler, de me tenir physiquement auprès du groupe ou de la personne manifestent de l'ouverture ou de la fermeture, de la crainte, de la crispation, de la bienveillance, du mépris ou de l'indifférence ?
Il est évident que les deux doivent être alignés, c'est-à-dire en harmonie, sinon "ça sonne faux".
Ce qui n'est pas toujours facile car il peut arriver un jour que par des évènements personnels nous soyons mécontents, fatigués, etc. ce qui va influer sur notre état mental et émotionnel et déstabiliser l'équilibre souhaité. Alors, respiration et exercices de centrage permettent la prise de distance avec ses émotions et de pouvoir être à nouveau en qualité de présence à l'autre. Pour moi, cela se faisait très facilement car, dès que j'étais dans le groupe, passionnée par ce travail, j'oubliais très vite l'extérieur pouvant troubler mon intérieur.
"La force du guide ne se manifeste que dans l'initiative et le risque, et non dans le succès obtenu." Hannah Arendt[1]
Extrait du livre pédagogique
POSTURE ET POSITIONNEMENT PROFESSIONNEL DANS UNE DÉMARCHE DE DÉVELOPPEMENT écrit par Sylvie et Rachel[2]
[ « Depuis déjà quelques années tous les domaines qui touchent à l’humain : le social et les sciences humaines en général, le politique, l’économique, l’écologique, et le scientifique sont amenés à s’interroger au niveau éthique.
La fragilisation de notre rapport aux valeurs, la ré-interrogation des normes sociales, la mondialisation avec le développement des médias et des moyens de communication et d’information, les découvertes scientifiques, font éclater les repères. Notre société est en train de vivre une profonde mutation. On est à l’heure des innovations, des changements, ce qui nécessite une réappropriation et une réflexion sur le devenir de l’homme de la société.
Rechercher ou retrouver du sens ne peut faire l’économie d’une réflexion morale et éthique ; morale pour repenser certaines normes et redéfinir certains repères ; mais face à l’incertitude et au changement, le questionnement et le positionnement personnel et éthique est incontournable.
Paul Ricœur dans l’introduction de son texte sur l’éthique dit : « Si je parle d’intention éthique plutôt que d’éthique, c’est pour souligner le caractère de projet de l’éthique et le dynamisme qui sous-tend ce dernier. Ce n’est pas que l’idée de loi morale n’ait pas sa place en éthique. Elle a une fonction spécifique ; mais on peut montrer que celle-ci est dérivée et doit être située sur le trajet d’effectuation de l’intention éthique. Je propose donc de distinguer entre éthique et morale, de réserver le terme d’éthique pour tout le questionnement qui précède l’introduction de l’idée de loi morale et de désigner par morale tout ce qui, dans l’ordre du bien et du mal, se rapporte à des lois, des normes, des impératifs. »1
Travailler dans une démarche qui, dans une intention éthique vise le développement, nécessite de gérer la complexité, à travers un outil de travail qui préserve la dignité des personnes, et dans une mission qui se réfère à des valeurs humanistes.
Notre responsabilité individuelle est engagée ; nous ne pouvons pas seulement nous situer dans l’exécution mais aussi, dans une recherche de sens.
C’est là nous semble-t-il, que la dimension éthique doit s’inscrire en nous renvoyant à nous-même et en se référant aux valeurs qui sous-tendent la profession. Cette démarche pourra permettre une certaine libération de la parole et laisser la place à la discussion et à la contradiction.
Dans la démarche pédagogique, nous interrogeons souvent le positionnement des étudiants et donc des travailleurs sociaux. Si l’inscription dans une démarche de DSL, dans une action collective ou partenariale à visée DSL, nécessite une approche spécifique, qu’en est-il du positionnement, et de la posture au regard des valeurs de la profession ?
La manière dont nous utilisons aujourd’hui dans la formation des travailleurs sociaux, le terme de positionnement et quelque fois celui de posture, laisse entrevoir que la démarche de formation et le processus de professionnalisation requièrent, pour les étudiants, la construction d’un positionnement et d’une posture en lien avec la fonction professionnelle. Ce qui pose également la question du positionnement et de la posture du formateur, pour permettre cette construction !
Ces deux termes sont souvent utilisés de manière indifférenciée, aussi un éclaircissement sémantique s’impose-t-il !
L’étymologie de ces 2 mots renvoie au terme pondre, famille du latin « sinere », « situs », qui à l’origine voulait dire, « laisser », « placer » et à l’époque classique « permettre ». Le terme « situation » a la même racine étymologique. Le composé « ponere » à l’origine « po-sinere », d’où « positus » : « poser, déposer » signifie : action de mettre en place, position.
En premier lieu, observons ce qu’il en est du positionnement en tant que « action de positionner » :
Positionner : « indiquer les coordonnées géographiques d’un navire, l’emplacement exact d’une troupe… / déterminer la situation précise d’un produit sur le marché, compte tenu de la concurrence à laquelle il est confronté… / mettre en position avec une précision imposée. » 1
Positionner, serait à la fois indiquer et déterminer de manière précise, la situation de quelqu’un et/ou de quelque chose, dans un espace-temps et dans son environnement ; l’environnement aurait un impact sur le positionnement ou, dit autrement, le positionnement serait tributaire de l’environnement.
Ces définitions courantes du Larousse, nous indiquent que le positionnement, nécessite une action, donc une construction, un mouvement en lien avec la situation dans laquelle nous nous trouvons. On se pose, on se met en place, en fonction d’un contexte, d’un environnement.
Mais nous ne sommes pas que dans l’action, il existe aussi une forme passive : nous allons vers quelque chose, et de ce mouvement-là, nous nous positionnons et nous pouvons être positionnés de telle ou de telle manière en fonction de certains paramètres de notre environnement. Nous nous situons et nous sommes situés.
Donc, nous pouvons dire que chaque situation particulière nécessite d’une part, et met en évidence d’autre part, une position particulière.
En ce qui concerne le positionnement professionnel en travail social, on pourrait dire qu’il s’agit de passer d’une position « d’amateur » à une position de professionnel, voire d’expert. Il s’agit donc, en fonction d’un certain nombre d’éléments de « mettre en place » et « d’être située » dans la position adéquate aux conditions d’exercice de cette profession.
Ce positionnement se met en place en fonction d’éléments qui interagissent entre eux :
- Des éléments spécifiques à la profession elle-même : les valeurs de la profession, les règles éthiques et déontologiques, le corpus méthodologique (ISAP, ISIC, Conduite de projet, les différents courants : clinique, systémique…),
- Des éléments propres au sujet lui-même dans son processus d’implication / distanciation… et selon la relation établie avec l’autre, usager, partenaire…
- Mais aussi, des éléments spécifiques à la situation à traiter : les choix que fait le professionnel quant aux fonctions à assurer dans une situation précise. Par exemple : la personne dans sa manière de jouer et d’interpréter son statut et sa mission.
Ainsi par la combinaison de ces éléments, va se construire le positionnement.
En second lieu, observons ce qu’il en est de la posture en tant que « position particulière du corps, attitude maintien. Être en bonne ou mauvaise posture : être dans une situation favorable ou défavorable. »1
Cette définition du Larousse, renvoie à quelque chose de fixe, de statique, quelque chose qui est en lien avec l’attitude physique qui s’accompagnerait d’une transposition au niveau psychique.
Pour Ardoino[3], la posture est « un système d’attitudes et de regards vis-à-vis des partenaires, des situations, des objets, dans le cadre des recherches ou des pratiques sociales. La nuance malencontreuse qui s’y attache, le plus souvent et surtout, la forme passive qui l’accompagne, (on est en bonne ou en mauvaise posture) nous rappelle utilement qu’une telle posture dépend au moins autant des caractéristiques de la situation où elle vient s’inscrire, et des représentations que s’en donnent nos partenaires, que de notre intentionnalité, de nos stratégies et de nos procédures. La relation entre posture et implication est donc très forte ». 2
[...]
Ainsi nous dirons que positionnement et posture se complètent :
Le positionnement va s’inscrire dans un processus, où il s’agira aussi de travailler son implication, c’est à dire, son propre rapport au monde, ses valeurs, mais aussi, son histoire, ses expériences, sa motivation, ses émotions…. Il va donc s’inscrire dans la temporalité, et va permettre au professionnel d’articuler ses compétences techniques (savoir-faire), à des compétences plus personnelles et éthique (savoir être). Il s’élabore par rapport à des enjeux, il dépend de ce que l’on veut promouvoir, il est stratégique.
La posture, quant à elle, serait l’aboutissement et l’actualisation du processus de construction du positionnement, mais aussi de son interprétation, par le sujet, c’est à dire de la manière dont il s’est approprié, et dont il joue le rôle (interprétation) d’une fonction, d’une profession.
Il s’agit alors d’adapter son rôle à chaque situation. La posture est donc culturelle, personnelle et souple, elle s’inscrit dans le changement. La posture suppose donc une mobilité/plasticité dans le regard et les attitudes, dans la mesure où chaque situation est porteuse d’inédit.
Pour autant, une telle mobilité n’est possible que si elle est portée par une « colonne vertébrale » faite de convictions et de connaissances, faite de rationalité (« l’organisé ») et d’inventivité (« le prophétique »).
Ainsi la posture professionnelle varie en fonction des événements, de ce que l’autre renvoie, de ce que l’usager attend du travailleur social, tout en se construisant en fonction des fondamentaux, des invariants qui relève d’une identité professionnelle. Et enfin, nous dirons que, dans le cadre du positionnement professionnel, nous pouvons donc avoir plusieurs postures compte tenu des éléments pris en compte, chaque posture ayant elle-même plusieurs figures.
Pour Michel VIAL « la posture n'est pas une position choisie et qu'on voudrait conserver, c'est bien davantage une façon d'être dans la temporalité, une attitude, c'est à dire une façon d'aborder la chose, dans tel ou tel état d'esprit et qui va donner lieu à une série de variations, de figures possibles »1
Ce détour étymologique et cette tentative de définition, nous amènent à dire que, au regard des éléments qui interagissent, nous allons trouver des similitudes dans nos postures, que nous agissions dans le cadre d’une intervention individuelle, dans le cadre d’une intervention collective, dans une démarche de DSL.
Cependant, bien qu’une posture spécifique soit utile, peut-être s’agirait-il de penser et de regarder les choses différemment.
En effet, l’approche systémique et la pensée complexe ne relèvent plus d’un choix, mais d’une nécessité en matière de développement. Rappelons-nous que l’étymologie de développement signifie « rouler d’en haut et enchevêtrer ».
En référence à Alain Simonin,1 sociologue et formateur à l’Institut d’études sociales de Genève et co-animateur du Réseau Démos (démocratie participative et action sociale), il s’agit de « retrouver en soi l’agir ensemble » et de « reconquérir une capacité d’agir ensemble ». Ceci nécessite de passer d’une logique individuelle, voire individualiste, à une logique collective, globale qui va jusqu’à la notion de démocratie, ce qui renvoie à l’enjeu et au jeu politique.
Se redécouvrir comme sujet et acteur, c’est reconnaître l’autre également comme sujet et acteur.
On a souvent tendance à vouloir comprendre avant même d’entreprendre une action ; mais la connaissance et la compréhension peuvent se faire aussi et plus complètement au travers de l’agir. Nous pouvons apprendre et tirer profit de l’expérience.
S’inscrire dans l’agir ensemble, c’est questionner sa relation au pouvoir, et se positionner différemment dans son rapport au savoir. Mais ceci est vrai dans la relation individuelle : l’autre sait… « de quoi il souffre » ; il s’agit de lui permettre d’oser exprimer son savoir, de découvrir ses compétences et ses capacités. C’est souvent dans l’attention et le regard de l’autre, de ses pairs, que ceci devient possible : le fait collectif de l’agir ensemble (même à deux) dans une perspective de développement permet cela….
L’agir ensemble, nécessite donc un savoir-faire, et une posture qui va permettre de découvrir un territoire, d’aller à la rencontre de l’autre, des habitants, et de les « autoriser » (au sens de Jacques Ardoino, de devenir auteur) à participer à la vie de leur territoire et à développer des projets.
Aussi, un professionnel arrivant sur un territoire dans une perspective de développement, va devoir, dans un premier temps, porter attention aux pratiques et aux représentations (« façons de faire » et « façons de dire », pour paraphraser un titre de livre2) des habitants de ce territoire. Et, de même que l’ethnologue fait usage de l’hospitalité des populations étudiées, et en devient donc un membre temporaire afin de mettre à jour la spécificité de leur culture ; de même, le professionnel entre sur une scène sociale, où il va être enrôlé dans un premier temps pour en « exhumer les modèles d’action caractéristiques »4. Cette phase de recueil de données tient « plus d’un processus d’imprégnation que d’un travail d’objectivation maîtrisé »5, comme l’écrit Michel ANSELME qui, à propos de son expérience de réhabilitation du « Petit Séminaire », cité de Marseille, fait souvent référence au dispositif théâtral.
Car la rencontre des protagonistes, habitants et professionnels, est une véritable mise en scène marquée par le paradoxe. Paradoxe pour le professionnel que l’on commence par malmener pour lui signifier son statut d’étranger et en même temps « lui dire, lui faire sentir la force d’ici »6.
« Étrangers, nous devions le rester, mais nous devions aussi devenir proches, de plus en plus compréhensifs des véritables moteurs de la vie du Petit Séminaire, être, comme le dit G. Simmel, attentifs et indifférents à la fois ».7
Se conformer à la seule place de l’étranger sans lien sensible avec le territoire et ses « entrailles culturelles » (expression québécoise), c’est se positionner dans un rôle d’expert « au-dessus de la mêlée » ; franchir le miroir de l’accueil et se positionner dans une relation sans différenciation, sans extranéité, c’est produire de la confusion et réduire l’espace de jeu, d’action des uns et des autres.
C’est dans cette posture à la fois authentique et professionnelle, où il s’agit d’articuler la commande politique et institutionnelle, à l’émergence et l’expression des demandes, des attentes et des besoins des habitants, que pourra se construire un diagnostic partagé et un véritable projet social de territoire.
C’est dans ce sens que Jean-François Bernoux propose de « passer des logiques de missions aux logiques de projet, de pratiques de distribution aux pratiques d’acteurs, des procédures de prises en charges aux processus de participation, bref, du traitement des problèmes sur un territoire au développement d’un territoire … »3
En guise de conclusion, nous ouvrirons sur une réflexion à poursuivre autour de la problématique de la posture et du positionnement lesquels s’inscrivent dans un processus de construction au même titre que la structuration identitaire du sujet et des groupes d’appartenance ; réflexion en référence aux valeurs de la profession et de l’éthique de chacun, car elle relève comme le précise Raynald Brizais : « d’une conduite d’interrogation permanente du sens, de son engagement dans le monde à travers ses actes ». 4 ]
Fin de l'extrait
L'autre piège est de vouloir des résultats tels qu'on les a imaginés. Lâcher le vouloir est indispensable, seuls les objectifs fixés au départ sont à maintenir, peu importe les chemins pris ou les détours, seulement garder le cap comme une boussole. Que ce soit au niveau personnel ou au sein d'un collectif, l'expérience vécue lors de cette démarche de développement modifie, transforme la personne et le groupe et en interaction. Connaissance intellectuelle mais aussi intime, personnelle, apprentissages nouveaux et un savoir expérimental et sensitif qui ouvre vers d'autres manières d'être, de penser et d'agir. Ces changements sont souvent plus conséquents que le résultat final de l'action parce qu'ils procurent à la personne et au groupe des souvenirs engrangés dans leurs mémoires individuelles et collectives. Ils ne sont plus tout à fait les mêmes qu'avant cette action.
L'aventure fait partie intégrante de la démarche de développement ; il est impossible de savoir à l'avance ce que cela va produire. La seule chose sûre c'est vers quoi iront les effets, vers quels horizons, mais aucune certitude sur le comment ni où cela va commencer ni où cela va s'arrêter.
C'est la magie de ces actions
Qui procure joie et enthousiasme pour chaque participant
Imprégnée d'une pédagogie participative et soucieuse de respect de la place de l'autre et de l'éveil de ses potentiels, j'ai affiné ma pratique, mes méthodes, mon positionnement. Les écrits suivants en PDF relatent le contenu et les analyses d'actions et d'expériences que j'ai menées, qui m'ont permis d'approfondir cette question du développement communautaire (appelé en France DSL, Développement Social Local), la participation des habitants et la démarche de démocratie participative. Ces écrits sont le fruit de ces dernières expériences qui m'ont permis une observation et une réflexion à la fois méthodologique et psycho-sociale des processus à l'œuvre dans de telles situations. Elles m'ont permis également de pousser loin la méthode d'accompagnement des groupes, notamment en matière de posture et de positionnement de l'accompagnant-e.
Parmi les dernières missions que j'ai complies, plusieurs n'ont pas pu aboutir, aller jusqu'à leur fin prévue initialement ; elles m'ont laissé un goût d'amertume, un sentiment d'impuissance face aux forces contraires. J'ai ressenti le besoin de comprendre, d'affiner l'observation et l'analyse pour en tirer des leçons que je souhaitais transmettre.
Jusqu'à présent, les écrits à ce sujet portent davantage sur la définition ou les méthodes. Je souhaite aller au-delà : décrire les processus subtils à l'œuvre qui ouvrent des chemins extraordinaires, plein de richesses prometteuses pour chacun ; et décrire aussi comment, lors d'une démarche de développement, cette grâce est sapée par la crainte absolue de certains de perdre le contrôle et/ou le pouvoir.
Se jouent d'une certaine manière, dans le domaine social, politique, comme dans la vie familiale, à la fois ce désir et ce refus de voir l'autre grandir, c'est-à-dire lui permettre de trouver son autonomie et d'être en capacité de prendre ses responsabilités sans être assisté, bref de devenir véritablement adulte.
Nicole
Sète, mai 2022
[1] Hanna Arendt, La condition de l'homme moderne,
[2] Cf. PDF Elaboration d'un livre sur la pédagogie du DSL, groupe de St Prix, 2003-2004.
1 Encyplopaédia Universalis, version 2003
1 Dictionnaire Encyclopédique, Larousse en 4 volumes, 1993, édition originale de 1991
1 Dictionnaire Encyclopédique Larousse, opus déjà cité
[3] Jacques Ardoino, 1927-2015 Paris, est un pédagogue français, professeur de sciences de l'éducation à l'université Paris 8. Il est l'un des premiers à théoriser le rôle d'accompagnateur professionnel.
2 ARDOINO Jacques, Les avatars de l’éducation, Edition PUF Collection ET Formation pédagogie théorique et critique, Janvier 2000 Paris
3 BATAILLE Michel, Revue POUR, n°88 Mars-avril 1993
1 Vial Michel, Se former pour évaluer, Edition De Boeck, collection pédagogie en développement, 2001 Bruxelles.
1 Simonin Alain, Retrouver en soi l’agir collectif ou la métaphore du photographe amoureux des arbres, Edition I.E.S.
2 Verdier Yvonne, Façons de dire, façons de faire – la laveuse, la couturière, la cuisinière, NRF, Editions Gallimard, 1979
3 Michel de Certeau, L’invention du quotidien – 1 arts de faire. Gallimard, collection folio essais, édition de 1990 p.36
4 Michel Anselme, Du bruit à la parole – la scène politique des cités, Editions de l’aube, 2000), p.27
1 Michel ANSELME, op. cit. p. 58
2 Michel ANSELME, op. cit. p. 61
3 Jean-François BERNOUX, Mettre en œuvre le développement social territorial, Edition Dunod, Paris 2002
4 Raynald BRIZAIS, Une éthique de la responsabilité contre une morale du devoir, Lien social 19/08/2000