top of page
téléchargement.jpg

Culture de la séparation, l'homme, la terre et l'univers

  Les peuples premiers respectaient la nature, ils vivaient en harmonie avec leur environnement et tous les êtres vivants, visibles et non visibles. Cela se vérifie encore aujourd'hui notamment avec les peuples amérindiens ou africains ou encore dans l'Arctique. Considérés longtemps comme des "primitifs" incultes qu'il fallait éduquer et convertir à la vérité religieuse, puis à la vérité économique et politique, ils nous montrent crument aujourd'hui nos errances et nous supplient de changer de paradigme si l'on veut sauver la planète et donc notre propre humanité. Cela n'empêche pas cependant, leur massacre ni la réduction forcée de leurs terres les amenant à l'asphyxie. Le chef Raoni est un exemple fort mais pas le seul, soutenu modestement par certains et bafoué par les profiteurs de tous ordres. La forêt brûle en Amazonie et dans d'autres contrées pour satisfaire l'exploitation outrancière de la terre et de ses ressources souterraines.

  L'évolution de nos sociétés nous a coupés de la nature. Je dirai même de notre origine terrestre, comme si nous n'appartenions pas à cette terre, nous permettant l'exploitation et la domination à outrance, sans aucun respect de cette Terre-Mère qui nous nourrit et nous offre tout ce dont nous avons besoin. Comment expliquer cet écart si profond entre les civilisations anciennes et celles, dite civilisées, que nous vivons aujourd'hui ?

 

 

Croyances et conceptions du monde

 

  De tous temps, les hommes ont cherché à comprendre le fonctionnement de l'univers et à trouver un sens à leur vie. La vie terrestre est pleine d'embûches, de souffrances et aussi heureusement, de satisfactions, comment cela peut-il être ? Donner un sens à la vie est une aspiration naturelle de l'Homme. Chacun cherche la transcendance, ce qui le dépasse, ce qui est au-delà de soi, abstrait mais pourtant sensible ; nous le ressentons et nous le percevons plus ou moins confusément ; chacun, chacune, à sa façon et comme il-elle le peut, selon ses choix audacieux ou timides. Cette quête a toujours existé chez l'Homme. " Il est difficile d'imaginer comment l'esprit humain pourrait fonctionner sans la conviction qu'il y a quelque chose d'irréductiblement réel dans le monde ; et il est impossible d'imaginer comment la conscience pourrait apparaître sans conférer une signification aux impulsions et aux expériences de l'homme. La conscience d'un monde réel et significatif est intimement liée à la découverte du sacré. Par l'expérience du sacré, l'esprit humain a saisi la différence entre ce qui se révèle comme étant réel, puissant, riche et significatif, et ce qui est dépourvu de ces qualités, c'est-à-dire le flux chaotiques et dangereux des choses, leurs apparitions et disparitions fortuites et vides de sens." [1]

  Les êtres humains ont donc cherché des explications et sont entrés dans la narration de la genèse de ce monde et du rapport entre les hommes et ces forces mystérieuses qui font la pluie et le beau temps, au sens propre comme au figuré, sur terre et dans le cosmos. L'animisme, le totémisme et les mythes sont nés, ces expressions imaginaires de notre perception du monde. Valeur hautement symbolique nous permettant de trouver une raison, un sens à notre existence et au fonctionnement cosmique. " L'être humain est le seul animal qui a développé des croyances dans un monde invisible non perceptible par les sens pour donner du sens à son existence, une explication au mystère du monde et dépasser l'angoisse de la mortalité. Dès l'apparition des tombes, il y a 100 000 ans, il y met des symboles de renaissance en enterrant les morts la tête à l'Est, avec de la nourriture et des armes. Puis à partir du Néolithique, il va construire des édifices religieux pour rendre un culte à des dieux ou déesses invisibles. La religion (du verbe latin religere) a cette double fonction de donner du sens à travers la reliance à des forces ou des divinités invisibles et de créer du lien social." Frédéric Lenoir

  Des mythes fondateurs, immenses poèmes allégoriques, sont nés à partir de la perception et de l'observation du monde et racontés dans des récits à dimension symbolique à propos des origines du monde. Au temps du Néolithique, de nombreuses cosmogonies se ressemblent quelle que soit la contrée du monde. Le plus souvent, un dieu suprême, associé ou pas à une figure féminine, qui commande la vie, la mort et la fertilité et des dieux secondaires ou l'opposition du dieu de la vie et celui de la mort qui finalement se complètent et se tolèrent malgré leurs querelles incessantes.

  Les cosmologies indo-européennes s'organisent autour du même schéma : le monde a été créé et par une entité unique.

"Les mythes nous parlent de la création du monde, non pas comme le font les recherches scientifiques, mais du point de vue de l'évolution de la conscience et de ses modalités terrestres."[2]

  Au fil de l'histoire et de l'évolution de l'organisation des groupes humains, les croyances se sont modifiées, extirpées du principe des mythes tout en gardant certaines bases, pour construire une vérité affirmée du fonctionnement de l'univers, de la place de l'Homme sur terre et de son rapport aux dieux. Comme si besoin était de sortir véritablement du chaos primordial, des conflits et des doutes et s'assurer d'un ordre nouveau, d'un monde nouveau, en même temps que la nouvelle organisation terrestre des peuplades. Se coupant de la nature, les hommes se sont également séparés des dieux et de la sacralité de la Terre-Mère. L'unité existante au préalable s'est rompue. Les dieux présents partout, s'éloignent, les hommes sont seuls, ils lèvent les yeux au ciel et cherchent appui vers l'Au-delà. Quelles que soient les croyances, excepté les peuples premiers, se manifeste alors une distance très grande entre le territoire des dieux et le territoire des hommes ; il est de ce fait, nécessaire de créer des ponts entre les deux.

  Autre paramètre, le conflit est très présent, presque la base même de la vie. Réminiscence des multiples épreuves et combats pendant notre naissance et générateurs de vie[3] ou conflit au travers duquel se crée l'ordre du monde ? Peut-être les deux dans la mesure où nous pourrions voir une concordance entre notre naissance et notre évolution d'être humain et la naissance et l'évolution du monde, de la terre et de l'humanité ; la vie naissant du chaos[4] c'est-à-dire du non manifesté.

Naissent alors les religions. Le mot religion vient du latin et semble avoir deux origines terminologiques : religere, relire, revoir avec soin, ici lire et comprendre le monde ; ou, religare, relier, relier les hommes à Dieu et les hommes entre eux. N'oublions pas que les religions, (comme les idéologies) par la création de communautés humaines de croyants sont facteurs de cohésion sociale. Elles ont donc un double pouvoir d'apaisement, être avec des semblables et se rassurer face au destin.

"L'homme se sent isolé dans le cosmos, car il n'est plus engagé dans la nature et a perdu sa participation affective inconsciente avec les phénomènes. Le tonnerre n'est plus la voix irritée d'un dieu, ni l'éclair son projectile vengeur. La rivière n'abrite plus d'esprits, l'arbre n'est plus le principe de vie d'un homme, et les cavernes ne sont plus habitées par des démons. Les pierres, les plantes, les animaux ne parlent plus à l'homme et l'homme ne s'adresse plus à eux en croyant qu'ils peuvent l'entendre. Son contact avec la nature a été rompu, et avec lui a disparu l'énergie affective profonde qu'engendraient ses relations symboliques."[5]

 

  Dans l'ancienne cosmologie chinoise, l'univers n'a pas été créé par des dieux ; il s'est autoengendré sous l'interaction de deux éléments qui constituent la nature : le yang actif, léger, sec, chaud, positif, masculin et le yin passif, sombre, froid, humide, négatif, féminin. Toutes les choses, qu'elles soient animées ou inanimées, toutes les circonstances proviennent de la combinaison de ces deux éléments fondamentaux. L'ultime principe de l'univers est le tao, le chemin, qui détermine les proportions justes du yin et du yang en toutes choses. Tout obstacle aux rapports naturels du yin et du yang est considéré comme néfaste et, pour vivre bien, il convient de suivre attentivement le tao. Si l'on pratiquait la modération, l'équanimité (la quiétude quels que soient les événements) et la moralité, enseignées par Lao-Tseu dans le Tao-te King (VIème siècle avant J.C.) on était inaccessible à la maladie et résistant aux ravages du vieillissement ; la non-observance du tao entraînait la maladie ; celle-ci n'était pas le châtiment du péché mais la conséquence nécessaire d'agissements contraires aux lois de la nature. Cependant, certaines forces incontrôlables par les humains pouvaient également provoquer la maladie : "le vent est à l'origine de cent maladies" ; les conditions atmosphériques étaient susceptibles de détruire l'harmonieux équilibre interne du yin et du yang. Il fallait donc parer à cette éventualité et en combattre les effets en même temps que modifier les déséquilibres internes des forces vitales. En échange, on obtenait longévité et santé. Conception toujours vivante à notre époque et mise en pratique au quotidien par un grand nombre.

 

  Les mythologies révèlent toujours la nature du contexte social et politique dans lequel elles existent. Et réciproquement, les cosmogonies et leur contenu thématique sont secrétés par la réalité historique et sont à son image : une société pyramidale de type monarchique ou oligarchique pratiquera une religion pareillement pyramidale structurée autour d'un dieu ou d'un panthéon créateur.

On peut aussi remarquer les liens existants entre les civilisations d'une même contrée géographique. C'est ainsi que les études assyriologiques montrent combien l'influence de la civilisation assyro-babylonienne s'est faite sentir sur l'Egypte, la Grèce et bien entendu sur le peuple juif qui en a été profondément marqué. Dans cette civilisation, la faute, qu'elle soit connue ou méconnue, avait un rôle considérable puisque c'est elle qui provoquait les maladies. Et la maladie s'exprimait s'il y avait perte de la protection divine.[6]  Trois éléments associés : faute, perte de la protection divine et maladie, quelle charge ! Si cela s'avère juste sur un certain plan - la faute (ou erreur) crée effectivement une dysharmonie - cet énoncé pris au sens littéral renvoie au châtiment divin, illusion et superstition des humains. L'empreinte mémorielle restera gravée et transposée au fil du temps sur les sociétés issues de ces origines conceptuelles du monde et dont nous portons traces encore aujourd'hui notamment dans les religions monothéistes et dans notre société française. Cependant, malgré une origine géographique identique et sans doute ayant influencé les Babyloniens, il semblerait que précédemment, les Sumériens reliaient également la maladie et la religion, non pas comme une faute mais comme l'occasion de retrouver la Vie (la vie divine, la Lumière), comme "un moyen naturel pour inciter l’homme à se dépasser, à briser les résistances de son ego dans une quête d’immortalité spirituelle. La médecine faisait partie de la religion, de la science et de l’art. Elle était d’abord religieuse, puisqu’elle reliait corps physique et corps spirituel, tentant toujours de reconstituer l’homme dans sa globalité, dans son unité. Les médecins sumériens savaient que Dieu est un et que l’homme parfait (HUR.SAG.KALAM.MA) doit constamment rétablir cette unicité en lui."[7] La cause principale de la maladie étant le manque de pardon, non pas seulement vis à vis de l'autre mais aussi cette capacité à se pardonner à soi-même, donc sortir de sa partie sombre. Point de vue très différent entre ces deux civilisations concernant l'interprétation d'une même situation. La maladie qui, chez les Sumériens était une alerte, l'occasion d'un réveil, re-éveil, un point de sursaut personnel pour retrouver la vraie vie, l'harmonie et l'unité dans ses différents corps, produit chez les Babyloniens accablement auquel s'ajoute la lourdeur de la culpabilité. On remarque par cet exemple que l'hégémonie du prince et l'idée de puissance fort présent à Babylone, conduisent à l'assujettissement de soi dans sa propre existence. Se vérifie alors le lien qui existe entre l'évolution de la société et les déviations des fondamentaux originels. Ainsi le regard que les gens portent sur eux-mêmes autant que sur la société change et modifie leur positionnement.

      

  Il est intéressant de constater que des exceptions ont cependant existées dans un ensemble allégorique, au sein de mini sociétés. Par exemple en France, la société montagnarde vasconne ignore le schéma pyramidal, et pratique une gestion directe et sans état.[8] Il n'y a pas de caste dirigeante dans le microcosme valléen, pas plus de capitale. La société traditionnelle vasconne ignore le concept de sommet ou de "centre". Le centre, il est partout puisque chaque unité géographique valléenne est organisée en autogestion ; la composante sociale et économique de base étant la "maison". En conséquence, dans le système cosmogonique gascon, nous ne rencontrons pas davantage le concept de sommet, de centre ou son équivalent celui de création. Pas le moindre récit contant le commencement des temps et des hommes. Pas le moindre mythe des origines depuis l'Ouest Basque jusqu'au centre Gascon. Il n'y a pas de théocratie toute puissante créatrice et ordonnatrice du monde, ni de rois et princes qui gouvernent le peuple. Il ne peut donc pas y avoir de Louis XIV, roi de droit divin par définition originel. On continue à ignorer l'hérédité du pouvoir politique comme on ignore l'hérédité patrilinéaire des maisons. Et, puisque personne n'a été créé avant les autres, que l'on soit homme ou femme, aucune création n'a donné prédominance chronologique et sociale à l'un ou à l'autre (les femmes héritent si elles sont l'aînées d'une famille, elles participent au conseil de vallée et votent). Parallèlement, les dieux travaillent : les Laminaks basques et leurs homologues vascons les Hadas lavent leur linge, filent, cousent, pétrissent et cuisent le pain. La déesse-mère Mari fait la cuisine. Mari est la concrétisation des forces de la nature dans sa multiplicité, (vent, orage, maturation du blé) et générées à l'intérieur de la terre. Mythe de la féminité féconde et créatrice associé au thème de l'eau.[9] Association symbolique millénaire et classique : féminité, eau, couleur blanche notamment au travers du linge blanc, et lune. La dame de Lourdes "era dama", petite (comme une Hada), vêtue de blanc, souriante et bénéfique et en lien avec les lieux de la préhistoire.

  Autre distinction importante, dans le rituel religieux pyrénéen le sacrifice n'existe pas. Le sacrifice est un moyen de rembourser éternellement une dette inéluctable à quelqu'un à qui l'on doit tout. L'offrande, elle, est basée sur la réciprocité. Elle n'est pas faite sur commande d'une entité supérieure et l'individu décide de lui-même de l'offrir ou pas. En conséquence de tous ces paramètres, une société ouverte et coopérative.

  Avec cet exemple, on peut comprendre aisément comment le lien entre mythologie-croyances et organisation sociale est fort déterminant et conditionne non seulement le présent mais aussi l'avenir d'une société. Ayant eu des missions à différents endroits de la France, j'ai pu remarquer combien certains lieux étaient foncièrement, culturellement plus autonomes et quelque peu résistants face au système majoritaire imposé. L'histoire récente n'est pas la seule raison, les racines sont plus anciennes et profondes. Ce qui nous semble évident aujourd'hui ne l'a pas toujours été et, s'il parait ainsi, c'est au détriment de tout ce qui a été détruit ou refoulé, autant de richesses perdues dans la perception du monde et donc, dans la manière d'être ensemble.

 

   Puis au cours des siècles, changement important me semble-t-il, les religions plus récentes sont des croyances à partir de discours sur le monde, prenant origine la "parole" de dieu et la vie de prophètes, et devenant "vérités". La Parole vient de l'extérieur, de Celui que l'on cherche, elle est donc absolue. Également, elle est souvent prise au sens littéral, au sens premier et perd de son contenu : le véritable message dissimulé derrière les mots, et ceci en exclu l'adaptation à l'époque présente. « Les religions n’existent pas en dehors des hommes », il faut « sans cesse leur redonner leur dimension éthique, subjective. Les textes ne parlent pas d’eux-mêmes : ce sont les lecteurs qui les font vivre. Et c’est parce qu’on ne les contextualise pas qu’ils peuvent se transformer en idéologies assassines. » Rachid Benzine[10]

  De ce point de vue, la politique et la religion, chacune dans leur domaine, procèdent des mêmes dynamiques. L’une sur le registre de l’idéologie ou assimilée et dans la croyance de "lendemains qui chantent", l’autre sur le domaine de la croyance en l’au-delà, ce qui revient au même dans le sens de la « projection vers », de l'espoir et d’un certain idéal-isme. L'espérance d'une promesse enfin réalisée qui nous fait subir, ou réagir au présent qui semble contraire.

  Cependant, la transmission des textes sacrés (comme celles des philosophies politiques devenues idéologies) est très dépendante de l'état de la société du moment. Ils ont été interprétés ou tronqués parce que la connaissance et le niveau spirituel de l'époque ne permettaient pas une compréhension totale. De plus, leur compréhension profonde implique des efforts pour leur application concrète au quotidien, efforts qui demandent courage et persévérance que certains ne sont pas prêts à assumer. N'oublions pas également, les interférences liées au contexte socio-politique de la période concernée qui empêchaient l'expression totalement libre.

  Le sens profond et symbolique étant mal transmis, parfois même tronqué ou interprété, il a été relégué au second plan. N'ont été retenues par le plus grand nombre, que les injonctions et les interdictions, transformant ainsi la religion (ou l'idéologie) en une morale et un dogme, et donc une autorité qui dirige les comportements. La morale met des barrières, des interdits et des possibles, balisés tout au long de la vie comme les panneaux de signalisation sur la route, interdit de dépasser, limitation de vitesse, etc. sous peine d'amendes, de prison ou de bannissement dans ce monde-ci, sous peine des flammes de l'enfer dans l'autre monde.[11]

  Autre remarque importante qui influe considérablement la suite de notre histoire et ce, dans tous les domaines : L'homme se considère comme l'élu de Dieu, l'enfant chéri, donc supérieur à tout autre être de la nature, animaux, plantes, etc. Pour avoir le salut, il doit dominer sa nature intérieure, les mauvais penchants, et transpose cela sur l'extérieur, il domine aussi la nature et son environnement.

 

   Ce qui existait pour "relier", le lien profond avec soi, avec la nature et l'invisible, devient ce qui sépare. Perdant son intériorité, le contact avec son essence profonde, l'individualité se sépare de l'Unité universelle, du Grand Tout.

Les fêtes chrétiennes, entre autres, illustrent cette situation. Prenons l'exemple de l'anniversaire de la naissance de Jésus situé le 25 décembre depuis le IVème siècle (avant c'était le 6 janvier). Cette date a été choisie en correspondance avec le solstice d'hiver. Certes, la correspondance symbolique existe avec le renouveau, le "nouveau soleil", mais c'était aussi pour supplanter la fête ancienne traditionnelle, s'imposer et convertir "ces païens" ! Résultat, des générations entières et pendant des siècles, ont oublié ce rattachement au solstice c'est-à-dire au rythme du cosmos et des saisons qui nous influencent en permanence avec leur symbolique propre que nous pouvons tous ressentir et partager, quels que soient les pays et les religions. Le solstice est fêté dans tous les continents depuis des millénaires. Notre inscription terrestre est ce qui nous unit et que personne ne peut nous retirer. Pourtant les religions nous ont éloignés de cette symbolique naturelle, sensible, biologique même, et de cette conscience collective d'appartenance commune au cosmos et à l'humanité toute entière ! Le principe de modernité, rejetant tout signe du passé non intellectuel, a achevé cette coupure avec notre être relié.

 

   Dans le Proche Orient (d'où est issue entre autres, la religion d'Israël, origine des croyances monothéistes), s'exprime l'idée de la chute, de la séparation, d'une rupture brutale. L'idée du péché originel correspond à un sentiment profond de l'être humain d'avoir perdu quelque chose, le paradis perdu qui nous pousse à chercher des explications transcendantales. Dans certaines croyances, cette rupture est la conséquence d'une faute commise par l'homme et donc une punition qui génère un sentiment de culpabilité toujours en vigueur malgré les siècles. Le péché originel œuvre encore, imprimé dans les cellules et les mémoires humaines, plus ou moins lourdement selon les époques et les religions. Pour d'autres, cette séparation est peut-être une grâce car elle serait la seule possibilité pour devenir humain, c'est-à-dire permettre à l'âme de s'incarner et de continuer son chemin, vivre de nouvelles expériences dans ce lieu qu'est la terre.

   Au-delà de la question prise au sens religieux, peut-être pouvons-nous faire un rapprochement avec le chemin parcouru lors de notre propre incarnation et notre naissance. Au niveau psychique, le "paradis perdu" serait cette période de confort et de connaissance subtile dans le ventre maternel avant d'être confronté à la dure réalité quotidienne de ce monde. De même s'actualise dans ces instants d'accouchement, la perte de l'unité primordiale comme celle de l'unité-communion entre soi et l'environnement ; à la naissance, le bébé découvre la séparation entre l'intérieur et l'extérieur, son être et l'autre, son être et l'environnement proche. Or, la question de la séparation est liée à la question de la responsabilité. Dans la psychologie humaine, il faut trouver le responsable donc le coupable de cette situation nouvelle. Nous pouvons en déduire l'existence de ce sentiment de culpabilité et aussi celui du conflit sous-jacent.

  Nous pouvons également nous interroger si nous n'avons pas perdu davantage que ce lieu paradisiaque. Et si ce que nous avons perdu était lié à un autre état d'être, avant cette incarnation sur terre ? Si nous reconnaissons l'existence de l'âme, celle-ci aurait une vie propre et serait issue d'un ailleurs, d'une autre lignée. Il y aurait bien alors une perte, une rupture plus radicale, donc un manque qui nous pousserait à trouver réponse et combler enfin cette distorsion. Cette hypothèse conduira à une recherche permanente du retour à la source, à son origine, jusqu'à ce que nous comprenions que la Source est en nous et qu'elle attend de nous, de lui faire place pour s'exprimer et rayonner. La Vie est Une et présente partout et dans chaque être vivant.

   De l'homme pêcheur et coupable par naissance et par condition, à l'homme incarnation de l'âme vers son accomplissement comme le Bouddhisme et certaines tendances spirituelles, se dessinent tous les comportements dans la manière d'être et de vivre sa vie. Les premiers, se considérant indignes de l'amour divin, se situent dans un système linéaire et binaire (un commencement une fin, le bien le mal), ils restent sous le poids de la culpabilité originelle et cherchent à réparer et se défaire de cette faute (qui n'est pas la leur mais qu'ils portent comme une croix) au moyen de la morale, de la règle et de la discipline[12]. Ils pourront ainsi, sans cesse tourner vers le futur et faisant effort, gagner le paradis et y être accueilli par Dieu lui-même, en attendant le bien suprême, la résurrection. Les seconds, plus enclins à comprendre la vie en perpétuel mouvement dans un système circulaire, comprendront que rien n'est définitif, que tout est relatif et peut changer à tous moments, l'important étant de vivre en conscience l'instant présent car lui seul est déterminant. Ils savent aussi, comme cela est figuré dans le signe du Tao (un point Yin dans le Yang et un point Yang dans le Yin) que les contraires font le mouvement de la vie et ne sont pas à opposer, mais à jouer en complémentarité ; vie et mort sans cesse renouvelées au fil du temps de nos vies ; les petites morts comme la grande mort suivies de renaissances réelles ou symboliques, comme le jour succède à la nuit, les saisons les unes aux autres, nos joies comme nos peines, nos bienfaits comme nos erreurs. Ils savent aussi que tout est énergie, ondes électro-magnétiques et ondes scalaires (dites énergie libre) - et davantage peut-être ? - qui se diffusent en eux et bien au-delà. Responsables des énergies qu'ils émettent comme celles qu'ils reçoivent (énergie d'amour ou énergie de haine, entre autres), et qui interagissent sur l'humanité toute entière. Leur but est alors de s'élever vers plus de compréhension et de compassion, vivre en Amour et Conscience, hausser leur niveau de fréquences pour laisser croître le divin en eux, s'approcher puis côtoyer la Source et se fondre en elle dans l'Unité retrouvée.

   Mener une vie bonne pour être auprès de Dieu et retrouver le paradis après sa mort, ou accompagner son âme dans son chemin pour revenir à la Source, deux finalités peu différentes dans le but, et donc compatibles, dirions-nous. Mais elles sont bien différentes dans le positionnement par rapport à soi et au monde, notamment sur les questions d'autorité, de morale, de liberté et de responsabilité. Cette conception spirituelle plus présente aujourd'hui peut expliquer l'évolution des pratiques religieuses où, sans renier sa foi, le croyant s'ouvre à un élargissement de sa compréhension du monde et se distancie quelque peu des carcans, institutions religieuses et croyances déviées.

   Le monothéiste craint le jugement dernier et la punition s'il manque de respect à la règle de Dieu, transmise par écrit par l'intermédiaire des prophètes ou des témoins successifs. Religion du Livre, la parole est le point central qui énonce le rapport de l'homme à Dieu et aux autres humains, ses frères, s'exprimant par des dogmes et des rituels. A été perdu un autre sens : parole et intention du cœur reliées au plus haut niveau de conscience créent la matière ou la modifient (Cf. "la parole s'est faite chair", les miracles), ceci étant accessible à chacun d'entre nous, à chacun selon la nature du lien qui le relie à la conscience universelle. Les Livres sont sacrés mais peut-être pas tels que nous le concevons pour la plupart d'entre nous. Le récit de faits pris comme exemples et les paraboles, ne délivrent pas complètement les messages subtils cachés derrière les mots. Une autre lecture est nécessaire et rarement accompagnée jusqu'à ce niveau ; le principe de séparation entre le divin et l'humain, la dualité, empêche l'accès et la révélation du sens profond.

  À l'inverse du panthéisme (du Grec : pan, tout) où le monde est un ensemble divin et où chaque composante détient une parcelle de divinité, ici Dieu est extérieur au monde. L'homme tendu vers dieu, va chercher à intégrer des valeurs et des comportements pour suivre les commandements et dominer ses mauvais penchants. L'homme ne peut être que pêcheur. Religion de la séparation, soi, les autres et l'environnement, le bien et le mal, le divin et l'humain, le ciel et la terre.  Culture de la séparation, donc de la dualité qui exacerbe les différences pour exister soi, induisant rivalité et compétition. Puis, recherche de l'amour de Dieu, pour nous sauver de notre bassesse en passant par l'intercession des prophètes ou de Jésus-Christ, quête de sa protection comme un bon père - bon père pour soi et justicier pour les autres -, peut-être expression du fantasme de l'enfant intérieur qui, pour se consoler, a besoin de croire en une figure humaine divine, le parent idéal !

   La psychologie des profondeurs nous amène, pour ceux qui le souhaitent et l'acceptent, à comprendre la vie différemment et percevoir une autre dimension, un autre niveau de réalité que l'on nomme spirituel. Selon Matthieu Ricard, interprète français du 14e Dalaï Lama : « [le Dalaï-Lama] très attaché à la notion de "spiritualité laïque", déclare que "la religion est un choix personnel et que la moitié de l’humanité n’en pratique d'ailleurs aucune et qu'en revanche les valeurs d’amour, de tolérance, de compassion prônées par le bouddhisme concernent tous les humains, et cultiver ces valeurs n’a rien à voir avec le fait d’être croyant ou non".

  Le monde se relit alors différemment. L'être est tendu vers la connaissance intérieure et la conscience de soi qui ouvre vers l'extérieur ; reconnaître qui nous sommes, accepter puis lâcher prise sur l'égo pour découvrir progressivement l'essence même de qui nous sommes.  "La spiritualité est une fonction vivante naturelle de l'être humain. C'est une voie d'éveil et de croissance, une façon d'explorer nos dimensions à la fois plus profondes et plus élevées." Alain Boudet. Certains parleront du retour de l'enfant intérieur, d'autres iront jusqu'à la rencontre de l'enfant divin. La recherche d'un bon parent extérieur, encourageant et protecteur, qu'il soit dieu ou thérapeute, ne nous dispense aucunement de ce voyage intérieur pour retrouver cet enfant originel enfoui, devenu au fil du temps et des circonstances, aphone ou impétueux de ne pouvoir s'exprimer avec toute sa vivacité et sa spontanéité. Être bon parent pour soi-même. Accueillir et élever cet enfant que nous avons été et que nous avons emprisonné, pour lui permettre de s'exprimer pleinement, n'est autre que redevenir pleinement vivant et scintillant.

   Ecouter, s'écouter au plus profond de soi, sentir ce qui est juste. Ou encore, sortir de ses passions (pensées inadéquates) et choisir les pensées adéquates comme le dira Spinoza, pour trouver par la raison, ce qui nous convient véritablement.[13] Comprendre qu'il n'y a pas de punition ni de destin car toute pensée, toute action induit d'elle-même des conséquences qui nous reviennent en retour un jour ou l'autre et que cela peut même avoir des retombées plus larges sur notre monde terre (à l'image de l'écologie, la pollution, ou dépollution, à un endroit produit des effets au-delà de ce lieu)[14]. Retrouver ainsi l'unité première intérieur-extérieur, en unité corps-esprit-âme et dans un tout, univers visible et invisible.  Spiritualité "laïque" et valable tout autant pour les "croyants" qui s'ouvrent à cette démarche. Mais plus encore, cette démarche peut également devenir une véritable aventure qui conduit à la reconnaissance profonde de notre nature divine et vivant dans l'Unité retrouvée, c'est-à-dire ouvrir la possibilité d'autres connaissances et perceptions, se rapprochant des religions dites primitives des peuples racines ; rien n'est séparé ni dans l'univers, ni dans le temps et l'espace, tout est à sa place et concorde à l'ensemble. La voie de la non-dualité, comme dans la pensée indienne, l'Advaïta-Vedanta, ou selon la vision moniste de Spinoza.[15] Dieu est la Substance Universelle de tout ce qui est et donc totalement immanent, "Nature naturante" essence divine éternelle et infinie et se manifestant au travers de tout ce qui est "Nature naturée" (visible dans les formes matière). Il importe donc de retrouver sa propre nature, de se libérer de toutes ses "passions tristes" (la haine, la peur, l'anxiété), et cheminer dans la joie vers plus de Sagesse, de Connaissance-Conscience et d'Amour, plus de Lumière, manifester le Qui Je Suis à chaque instant, un être spirituel qui s'est laissé embourber par son aspect matériel. C'est aussi l'enseignement du Christ bien qu'il fût incomplètement compris à l'époque puis quelque peu déformé dans sa transmission. [16]

   À travers ces différents choix possibles dans la manière de se relier à la terre et à l'univers, vont se décliner tout autant de façons de se comporter et d'être au monde. Nos choix de traduction transcendantale vont influer au quotidien nos actes et nos pensées. Ainsi, il y aura ceux qui, dans une certaine dépendance, rechercherons à l'extérieur protection et amour pour se rassurer eux-mêmes et serons prêts à croire ce que l'autre dit comme vrai, l'autorité de la vérité et du cadre. Sera considéré étranger, voire étrange puis dangereux, celui qui est différent.

  Ceux qui seront plus indépendants, sans croyances religieuses et se rassurant dans la rationalité prise comme seule vérification d'être humain.

  Ceux qui, plus humblement, auront compris pas à pas l'interdépendance et la responsabilité personnelle dans les actes et les pensées et le lien avec toute chose.

  Ceux qui, par nature (conscients de leur pleine nature) et par choix, sont en dialogue avec eux-mêmes et avec tout l'univers, respectueux et confiants, assumant pleinement Qui ils sont, des êtres divins donc éternels, incarnés sur terre, en chemin constant d'évolution et d'expérimentations, ici ou ailleurs dans l'infini du possible.

   Dans cette période trouble que nous traversons actuellement, la question religieuse redevient centrale et se manifeste de manières différentes, des plus extrémistes aux plus ouvertes en quête de retour aux sources, c'est-à-dire à l'Amour. Retour à la terre, retour à une vie plus en osmose avec la nature et en échange avec les autres, et retour vers ses origines lumineuses. L'humanité a expérimenté toutes ses folies, ses abus en tous genres dans le domaine de la guerre, y compris économique, comme dans celui du religieux. Elle a compris les limites et les dangers de cette pulsion de pouvoir et de la domination. Elle s'interroge, se met en quête d'autres compréhensions du monde.

  Ceci peut expliquer l'influence croissante de la philosophie taoïste et de la spiritualité de l'Éveil. L'homme austère a institué les religions, des philosophies et la morale. Il craint le jugement des dieux et des hommes et de ce fait, il demeure dans la crainte et dans le contrôle permanent (qui se traduit par ricochet au niveau des politiques de gouvernance). Prenant la vie trop au sérieux, celle-ci devient pesante. Nous sommes tous séduis, voire envieux, quand nous voyons des reportages sur des communautés anciennes traditionnelles. Séparées de notre monde bruyant et violent, elles vivent au jour le jour, à la mesure de leurs besoins, en harmonie et sont d'une humeur joyeuse. Peut-être cela est-il possible aussi pour nous, sans partir au lointain ? Dans les religions dites primitives, tout est en lien, en symbiose. Il y a respect et sens sacré du vivant. La punition advient par la colère des dieux ou des ancêtres, des esprits, si les règles d'harmonie sont transgressées. Le comportement est basé sur le respect de l'harmonie du monde et sur les lois naturelles du vivant, y compris pour soi-même. Tout est sacré. L'être humain fait partie d'un tout et en lien constant avec tout l'univers. Il a, au-delà de ses limites habituelles instituées, la capacité de jouer et de dialoguer avec tout ce qui est visible et invisible.

Mais dans nos sociétés actuelles, il a perdu ce savoir et néglige donc une grande partie de son potentiel. La question est donc de savoir si nous nous respectons nous-mêmes profondément, totalement dans le "Qui je suis", seule condition pour s'ouvrir et se connecter à tout ce qui nous entoure.

  Il est intéressant de constater en ce moment que les démarches et les accompagnements spirituels qui visent à contribuer à l'éclosion de la "Nouvelle Terre", ce passage à une nouvelle humanité, intègrent de plus en plus les savoirs ancestraux. Les nouveaux coach-chamans sont nombreux ; ils expérimentent et transmettent cette connexion à soi-même, aux autres, à la nature et à tout l'univers, en fait à la Vie dans toutes ses manifestations. Attesté par sa verticalité, l'homme est un pont entre le Ciel et la Terre, appartenant aux deux mondes ou plus exactement, à ce grand Univers qui est Un sous différentes formes. Ainsi tout lui est possible ! Dans le même temps, la physique quantique révèle scientifiquement ce que les Anciens savaient et pratiquaient depuis des millénaires.

  Nous accomplissons notre chemin, le retour aux origines, en ayant évolué sur le plan technique et engrangé au fil du temps, d'autres savoirs et compréhensions de nous-mêmes.

 

   Revenir aux sources. Peut-être revenir aux sources réelles des religions, à l'origine première non déformée par ce besoin d'interprétation excessive, d'institutionnalisation et de contrôle, de puissance conquérante et de dogmatisme dérivant vers des formes d'idolâtrie ? Nous verrions avec surprise et soulagement pour l'humanité entière combien l'origine des origines, intuition et sens premier, est semblable et commune à tous et toutes.

 

Nicole

Mai 2021

 

[1] Mircea Eliade, La Nostalgie des Origines, Ed. Gallimard, 1971

  Cf. également, Histoire des croyances et des idées religieuses, Ed. Payot, Paris, 1976  

[2] Marie-Laure Colonna, Réenchanter l'Occident. Vers un éveil de la conscience individuelle et collective. Ed. Entrelacs, 2019

[3] Cf. Bernard Montaud, L'accompagnement de la naissance, Ed. Edit'as, 1997

[4] Du chaos à l'harmonie, film de Sébastien Lilli, INREES/TV

[5] Carl Gustav Yung, L'Homme et ses symboles, Ed. Robert Laffont

[6] Cours de Patrice Josset, médecin, enseignant l'histoire de la médecine de l'Antiquité à nos jours.

[7] La médecine sacrée à Sumer par Marguerite Kardos Enderlin | Publié le 23 septembre 2003

[8] Isaure Gratacos, Femmes pyrénéennes, Un statut social exceptionnel en Europe, Ed. Privat, Pages Grand Sud, 1998

[9] Cf. Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles,

[10] Delphine Horvilleur et Rachid Benzine, des mille et une façons d'être juif ou musulman, Ed. Seuil, 2017

[11] L'éthique, en différence avec la morale, est davantage une recherche personnelle face à ce qui est jugé bon et beau, selon sa conception du monde et les valeurs reconnues comme fondamentales.

[12] Symboliquement, manger le fruit défendu de l'arbre de la connaissance, a donné à l'être humain ce défaut de tout juger par le prisme binaire. Il a perdu son innocence et sa quiétude.

[13] Spinoza, Ethique, Ed. Gallimard, trad. Roland Caillois, 1993

[14] Tout est énergie avec la loi d'attraction et répulsion. Spiritualité et physique quantique se rejoignent, en témoignent de plus en plus de scientifiques.

[15] Ibid.

[16] Uni-vers, "Il y a dans les voies ésotériques, cette conscience de l'unité transcendante des religions. C'est-à-dire qu'elles ne sont que la manifestation de la même réalité qui, selon les époques et les endroits où le souffle divin arrive, va se manifester sous la forme du christianisme, de l'hindouisme, de l'islam, du judaïsme ou autre. C'est rassurant et enrichissant " Maître soufi Abd le hafid Benchouk dans le film Religions : ce qui nous relie, film INREES TV réalisé par Aurélie Aimé et Nicolas Beauchamp

© Copyright 2021 - Tous droits réservés - Nicole Bandelier

bottom of page