Au sortir d'une mission qui ne s'est pas bien terminée pour moi (mais peut-être aussi pour les habitants spoliés de leur devenir), je me laissais à penser… et très vite me sont venus ces mots "rives et dérives de la participation" des habitants. Ces quelques mois d'accompagnement de leur projet ouvraient des perspectives riches de promesses pour l'avenir et ils étaient tellement étonnés et heureux de ce qu'ils produisaient, belles rives pleines d'espoir ! Je voyais aussi l'aspect sinueux de la rive, et je percevais toutes les embûches qui peuvent nous en détourner.

    Partageant cela avec un ami pêcheur, il m'a donné sa vision de ces termes et l'importance que ça revêtait pour lui, amoureux de l'eau et des poissons, défenseur convaincu de ces éléments de nature.

Profitant de son amitié et de son savoir (je l'en remercie), j'ai mesuré le sens que je pouvais donner à ces mots dans le cadre de la réflexion qui était la mienne. Je les ai donc gardés pour expliciter, de façon imagée, la subtilité des situations nous emmenant à une compréhension sensible tout autant que logique. Car le monde ne se décrit pas seulement par des faits et des théories. Le monde et la relation à autrui sont faits de moult éléments pas toujours perceptibles à l'observation rapide mais non moins agissant et productifs du devenir.

 

   Ainsi donc en introduction, je présente ici la version imagée de ce que je souhaite exposer dans les pages suivantes :

   Une démarche de développement est une aventure à partager ; et comme toute aventure elle se prépare, se vit, à la fois dans la conscience et la volonté mais aussi dans l'incertitude, l'imprévu, le non maîtrisé. Une aventure réussie est le résultat de cette alchimie entre le prévu et l'inattendu, le maîtrisable et le non maîtrisable, mais toujours avec une conscience précise et en éveil qui fait la présence à l'instant pour agir, réagir, de façon appropriée et au bon moment, et toujours dans le sens prévu initialement.

 

 

La rive

 

APPROCHE POÉTIQUE ET SYMBOLIQUE

 

  Les rives sont associées à l'élément eau, élément vivant, symbole de vie et régénérescence, toujours en mouvement : rivière, fleuve, lac, océan.

   Les rives sont précises et floues à la fois, elles délimitent l'espace, encadrent ; le tracé est clair, on peut le dessiner mais en même temps si on regarde de près, chaque mètre est différent et délivre un contour particulier.

   Je me prends à rêver au bord de l'eau … les pieds bien au sol sur la rive, repère, sécurité ; je suis terre et en même temps je me laisse porter, emporter par le bruit et le mouvement de la rivière ou du torrent, je suis également eau. Présente ici, à cet instant, mais aussi déjà ailleurs, plus loin, je ne sais où.

   Proches et lointaines, les rives sont visibles mais elles continuent plus loin que mon regard. Elles ont débuté bien loin derrière moi, et elles se poursuivent bien au-delà de ce lieu-ci.

Qui du fleuve ou de la rive a préexisté ? Les deux sont intimement mêlés.

Notion d'infini, d'aventure, je suis la rive sans savoir exactement où elle m'emmène ; crainte, incertitude, mais toute relative car, si je ne la perds pas de vue, je suis sûr d'arriver quelque part. En amont vers la source. En aval vers la ville, le village ou l'ouverture vers un autre horizon.

 

   Une démarche de développement contient ces éléments : le cadre, le repère, le contenant de ce flot dynamique produit à chaque instant par le groupe en situation de participation, tantôt calme et tranquille, tantôt fougueux et débordant. Les rives, le cadre, sont déterminées ensemble, chacun en est responsable, protection contre des débordements intempestifs. Ceci défini, on ne sait rien du lendemain, ni des paysages rencontrés plus tard, ni ce que va charrier la création collective. L'aventure commence, tout est possible y compris ce que l'on ne soupçonne pas. Mais chacun est sûr du choix, de l'intention, de la décision pris en commun et dont chacun se porte garant.

   La participation, c'est le fleuve, parfois bouillonnant, parfois indolent mais qui continue de toute façon.

    Les rives, c'est la conscience, la canalisation, ce qui contient pour que le fleuve atteigne son but.

 

 

APPROCHE TECHNIQUE

 

   Une rive s'entretient car il y a, en permanence, le risque d'effritement voire d'effondrement à force des courants du fleuve ou des vagues ou du grignotage des animaux qui séjournent à proximité, quand ce ne sont pas les hommes qui la maltraite.

   Veiller, surveiller en permanence, pour maintenir la solidité du cadre, la visibilité des repères et l'intentionnalité du chemin.

 

 

La dérive

 

   La dérive est souvent un acte volontaire, conscient ou pas ; le choix d'aller ailleurs a toujours un but, une raison : le refus de se laisser conduire par la rive qui nous mène, de suivre le cours du fleuve, de se laisser porter par ce qui advient supposant la non-maîtrise ; le refus, la crainte de l'inconnu, des aléas ; parfois aussi le refus de cette vigilance nécessaire et constante du navigateur pour arriver à bon port. Lassitude, découragement, peur, autant de raisons possibles pour abandonner et tenter de revenir sur des terrains ou des chemins connus et sécuritaires.

   Parfois, des obstacles surgissent le long du chemin ; l'imagination est alors nécessaire pour continuer à suivre la rive quitte à s'en éloigner un peu (ex : marécage, tronc d'arbres en travers, etc.) ; savoir contourner ou affronter l'adversité sans perdre le but, l'objectif poursuivi.

 

Il peut se trouver aussi, de forts courants sous-marins contraires qui vont déstabiliser le processus et contrecarrer la dynamique.

 

Seule, la solidarité collective et la détermination du groupe peuvent surmonter ces difficultés.

 

Mais, si la vigilance tombe, si la rive non entretenue s'effrite, alors, le courant se meurt, s'éparpille en de nombreux bras ou se trouve récupéré pour une autre destinée…

 

 

Nicole

Cachan 2004