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Histoire et Principes du développement social

Prairie alpine

 

Histoire, personnelle et législative, du développement social

   En France, née sous l'impulsion d'assistants de service social, cette action de type développement communautaire s'est institutionnalisée au fil du temps et a perdu peu à peu le sens profond des valeurs éthiques et méthodologiques du départ. C'est devenu un dispositif réglementaire parmi d'autres, tendu vers un résultat défini à l'avance.

Là comme ailleurs, on peut lire à travers les différentes références législatives, la prégnance culturelle du besoin de maîtrise et de contrôle dans une démarche qui, par définition, se situe dans l'imprévisible puisque issue de l'initiative et de la créativité collective.

   L'autre difficulté réside dans le refus de considérer la communauté territoriale comme un atout dans sa capacité à penser et agir dans une perception globale de ce territoire.

 

           « Le territoire est un espace physique avec une organisation politique et administrative qui sert de support à des relations affectives et symboliques. Contrairement à l’usage récent, il ne faut pas rabattre le territoire sur le microsocial et le local. Le territoire est un marqueur de l’identité parmi d’autres avec lesquels il se combine, notamment le sexe, l’âge et la classe sociale (quel que soit le sens donné à cette dernière expression). L’ethnicité renvoie à un territoire du passé, distinct du territoire présent. Le travail social communautaire est victime d’un malentendu linguistique : au Québec, comme aux USA ou en Grande-Bretagne, la communauté est d’abord une communauté territoriale : le village, la ville, le quartier, etc. « Communautaire » ne renvoie pas à « communautariste.

             Il n’y a pas d’identification possible à un territoire sans appropriation. L’appropriation d’un espace ne renvoie pas à une relation juridique (le droit de propriété), mais au pouvoir d’agir sur lui, de le transformer et de le faire sien en l’adaptant. Il faut distinguer l’appropriation d’un espace privé par un individu ou un groupe restreint et l’appropriation collective d’un espace public. La première joue un rôle important dans la construction d’une identité positive, surtout pour les populations fragilisées et paupérisées. La seconde passe par un débat public permettant de définir le bien commun de la collectivité dans son ensemble. C’est pourquoi la « résidentialisation » est une très mauvaise réponse : c’est le découpage d’un espace collectif en espaces privés, pour faciliter leur appropriation sur un mode individuel. » Maurice Blanc[1]

 

 

Le travail social communautaire

  J'ai été formée en fin d'études d'assistante sociale dans les années 1963-64, au travail social communautaire (pris au sens de communauté de vie telle que village, quartier ou groupe vivant les mêmes réalités). Cette méthode nous venait des Etats Unis après le case-work (travail social individuel auquel j'ai été également formée avec une méthode précise d'entretien individuel, d'attention et d'écoute active et l'étude de cas) puis le group-work utilisé en travail de groupe tel groupe de parole par exemple. A l'époque, seules deux écoles de travail social enseignaient cette méthode, elles avaient mesuré l'importance de cette démarche innovante.

  Je m'y sentis à l'aise car les intentions correspondaient à ce que j'avais expérimenté précédemment dans un groupe d'action catholique, la JAC, Jeunesse Agricole Chrétienne (maintenant MRJC, Mouvement Rural des Jeunes Chrétiens), basé sur le slogan suivant "voir, juger, agir" ensemble, soit observer, analyser et modifier la situation et ce, au sein du groupe en sollicitant et en respectant la parole de chacun avant de délibérer et décider collectivement ; ce qui signifie équilibre dans la place respective de la personne et du groupe. Cela correspondait aussi à l'idée d'autogestion qui se faisait jour et se manifestait à la CFDT, Confédération Française Démocratique du Travail, à laquelle j'avais adhéré dès mon premier emploi. Passionnée par cette méthode, j'en ai intégré les principes et les intentions tout au long de ma carrière. J'ai participé également au démarrage du CEFRAS, Centre de Formation et de Recherche en Action Sociale qui dispensait la méthode de travail social communautaire aux professionnels en cours d'emploi. J'y fus enseignante pendant trois ans.

 

               En effet après la dynamique de Mai 1968, le besoin d'un renouveau se faisait sentir parmi les professions sociales, ce qui a conduisit les assistantes sociales formées à cette méthode, à prendre des responsabilités au sein de leur service, notamment en tant que responsables de circonscription (responsable d'une équipe de travailleurs sociaux sur un territoire local déterminé) ; nouvelle organisation des services sociaux départementaux qui se mettait en place progressivement,[2] (transformée depuis et se nommant souvent "agence sociale départementale"). De plus, dans cette même période, l'État confie l'action sociale au département. La DDASS, Direction Départementale de l'Action Sociale, se trouvant dorénavant sous l'autorité du Conseil Général et donc plus en proximité. Depuis des décennies, le travail social oscillait entre plusieurs modes d'intervention. Les travailleurs sociaux, conscients et parfois désabusés de participer presque exclusivement à "la réparation sociale" et au contrôle social, cherchent de nouvelles pratiques entre l'action individuelle, collective et communautaire.

   Cette prise de conscience fut particulièrement visible lors des années 1970 où les méthodes de "travail social communautaire" arrivent des Etats Unis et tentent de faire école en France.

  Très vite, pour se soutenir mutuellement, partager les expériences et affiner ce travail, les professionnelles ont créé une association, l’Association Nationale des Responsables de Circonscriptions (ANRC) qui deviendra assez rapidement le MDSL, Mouvement pour le Développement Social Local. Elles affirmaient ainsi leur intention de dépasser le cadre strict du travail social pour s'inscrire dans une perspective plus large de prise en compte de l'ensemble des conditions de vie des habitants et en leur donnant droit à la parole et à l'expérimentation. Georges Gontcharoff[3], du fait de ses nombreux engagements en ce sens, va soutenir fortement la démarche tant du point de vue technique que du point de vue des intentions. Le groupe va beaucoup apprendre de lui.

   Malheureusement, la culture française ne se prête guère à de telles pratiques ; quelques expériences intéressantes ont lieu mais ne durent pas ou alors, elles sont très vite le reflet d'un travail collectif sous contrôle des travailleurs sociaux. Il s'agit, à part quelques exceptions, d'un territoire ou d'un public cible, plus que d'une communauté de vie où sont impliqués tous les acteurs (habitants, professionnels, élus, associations, institutions et acteurs économiques) et la population participe mais à ce que proposent les professionnels. Il y a rarement de "lâcher prise" de la réalité par les professionnels.[4]

  Ce mouvement MDSL n’a pas eu par la suite, le retentissement à la mesure de sa signification exemplaire dans la mobilisation sociale de l’époque. Assez rapidement comme d'autres, je me suis sentie mal à l'aise dans ces groupes d'échanges et de réflexions et j'ai pris mes distances. En effet, malgré la volonté afficher de permettre aux gens d'être en situation de développement, je remarquais la prégnance du professionnel social : l'assistante sociale qui, héritière du passé, a du mal à se défaire de son autorité et de son désir d'agir pour le bien de l'autre, donc de cette habitude de "faire pour" et non "faire avec" et, en plus, avec l'idée de ce qui est bien pour lui.

  Je ne supportais guère cette attitude dans le travail social individuel ; cela m'était absolument insupportable au niveau du travail social communautaire puisque sa définition sous-tend l'inverse de cette attitude.

 

   Dans les mêmes temps, les pouvoirs publics mettent en place une politique visant les quartiers avec en premier lieu le Développement Social de Quartier (DSQ), dans le cadre de la mission Dubedout. Enfin, le social "professionnalisé", avec la "Circulaire Questiaux", circulaire d’orientation du travail social. Cette circulaire aborde trois points essentiels : le travailleur social est attaché à un territoire géographique, puis rattaché à une zone d’intervention sociale, et s’inscrit dans un partenariat d’acteurs locaux du territoire, validant en quelque sorte les souhaits des responsables de circonscriptions. Deux influences se conjuguent, l'une liée à la politique nationale se manifestant au travers de l'évolution du cadre législatif, l'autre liée à l'évolution des mentalités et des pratiques des professionnels. Pour ceux et celles qui connaissent cette période du travail social, chacun sait combien cette époque fut riche d'expériences et d'innovations. On pouvait alors expérimenter et commencer un travail de théorisation. Avec l'ancrage du social sur un espace territorial précis, une dynamique réelle se créa jusqu'à la reprise en mains des politiques classiques de contrôle et des élus locaux non préparés à cette perspective. Après un temps de laisser faire dû aux changements administratifs, la culture pyramidale de la France refit surface et se traduisit également par un changement de gouvernement plus centralisateur !

   Suivant de loin ce qui se passait malgré tout, j'ai continué seule à œuvrer à ma façon. C'est ainsi que responsable de circonscription pendant de nombreuses années, j'ai constitué et formé une équipe à cette nouvelle perception du travail : chercher le développement de l'autre, qu'il soit individu-personne ou groupe, en lui laissant la responsabilité de ses choix et en se mettant à son service pour l'aider dans le discernement de la situation et la perception de solutions choisies par lui-même.

 

   Plus tard, vers les années 1990, la suppression de la polyvalence de secteur va mettre à mal ces options ; les travailleurs sociaux perdent cette connaissance intime des personnes et des territoires. L'évolution des problèmes sociaux, tant dans leurs caractéristiques que dans l'accroissement du nombre de personnes en difficulté, met la société en péril.

Deux formes de réponses vont être apportées :

             -Des "dispositifs" spécifiques à chaque type de problème, pour tenter de le résoudre, décidés au niveau de l'Etat et s'appliquant sur l'ensemble du territoire avec une très forte exhortation à une collaboration entre tous les partenaires locaux (décision de l'Etat, mise en application à l'échelon local décentralisé). Choix privilégié par l'Etat, la création de dispositifs multiples et de plus en plus spécialisés. Se perd cette vision globale des situations au profit de la spécificité accrue des services et des professionnels comme de la politique sociale.

               -Des actions de développement - développement local, développement social, développement social local - suscitées par l'Etat ou les institutions qui en déterminent les processus généraux et quelques principes méthodologiques mais dont la réalisation ne peut dépendre que de la coopération et de l'innovation des différents acteurs du territoire concerné. Intégrant, pour tout ou partie, des valeurs portées par d'autres projets tels que : développement économique local, contrat de pays, travail communautaire, écologie - ces actions vont être variées non seulement dans leurs réalisations et leurs objectifs mais aussi dans les intentions et les processus. Elles visent moins le soin, la réparation ; elles tendent vers l'amélioration globale d'un ensemble (situation et contexte) au cours d'un processus de transformation sociale.

 

   Le développement social local, nommé DSL, a vu son essor dans cette période, d'abord sous la pression de professionnels et acteurs sociaux qui souhaitaient travailler autrement. Puis, fin 90, les institutions françaises (conseils généraux, CAF et MSA) s'en sont vite emparées pensant de cette façon, estomper entre autres, les problèmes des banlieues et lançant des injonctions fortes aux travailleurs sociaux de leurs organismes. Il s'agissait aussi de concurrence interinstitutionnelle : dans la débâcle du travail social et la recherche de changements organisationnels dus à l'accroissement numérique des familles en difficulté, chaque organisme souhaitait être le premier à trouver la bonne solution et promouvoir son originalité. Le DSL, après d'autres dispositifs tels que développement social des quartiers DSQ et autres fin 1980, devenait une obligation de travail avec un formatage assez précis. Il fut alors difficile de reprendre les méthodologies pour les rendre fluides et adaptées à chaque territoire et situation ; l'institutionnalisation avait pris le pas sur l'inventivité des professionnels et leur capacité d'adaptation selon chaque situation. Ça devenait la nouvelle mode en travail social, les directions pensant avoir trouvé la panacée, mais sans que les professionnels, dont les cadres intermédiaires en responsabilité de ces actions, ne soient véritablement formés à cette nouvelle pratique.

   Toutefois, cette volonté a permis une réflexion sur les pratiques et les difficultés à réaliser de telles actions. A certains endroits, cela a produit quelques avancées en matière de participation des habitants et leur considération dans l'application des politiques territoriales.

Plusieurs consultants et formateurs ont alors écrit définissant le concept et la méthodologie voire l'enseignement adapté pour les étudiants en travail social.

 

 

Évolution du cadre législatif des politiques de quartiers puis de la politique de la ville

Successivement apparaissent des politiques concernant les quartiers défavorisés. À chaque étape, se manifeste l'évolution de la pensée politique qui encadre à l'intérieur de dispositifs et spécialise de plus en plus les interventions et ce, dans une démarche descendante et volontaire.

               -Réhabilitation des tissus urbains, caractérisée par une volonté d’équipement, consacrée de 1973 à 1977 par la création d’Habitat et Vie Sociale (HVS), procédure interministérielle visant à associer les habitants aux projets de réhabilitation des quartiers.

                -Le Développement Social de Quartier (DSQ) en 1982, qui consacre la participation des habitants à l’élaboration du bâti, la reconstruction du quartier et de ses réseaux sociaux.

                 -Dans les années 1990, l’évolution de la politique de DSQ montre la nécessité de passer d’une politique de quartier à une politique de la ville pour gérer la question urbaine, avec la mise en place des contrats de ville et des contrats d’agglomérations.

                 -Les années 2000 voient la généralisation des contrats de ville, les Grands Projets de Ville (DSU) et les Opérations de Renouvellement Urbain (ORU).

                 -Enfin, la loi SRU de décembre 2000

                 -2008 : plan banlieue « Une nouvelle politique en faveur des banlieues », présentée par Nicolas Sarkozy, qui veut mettre en synergie l'Éducation nationale, le développement durable, la Police et la sécurité intérieure, les élus locaux, les professionnels de la politique de la ville, le milieu associatif, les travailleurs sociaux et les entreprises.

                 -2018 : Plan gouvernemental de revitalisation des centres-villes baptisé « Action cœur de ville », concernant notamment les villes souffrant de déclin urbain.

 

 

Ce terme de développement recouvre aussi d'autres acceptions

 

Le développement local, utilisé principalement avec une visée économique, développement économique d'un territoire, puis aujourd'hui développement durable.

 

Le développement territorial où l'ensemble des thématiques du territoire sont prises en compte telles que, l'économie, le social, la culture et l'éducation pour les faire évoluer de façon concomitante et cohérente.

 

Le développement territorial intégré. Il s'agit d'enraciner le développement dans les racines profondes du territoire que sont l'histoire et la géographie. Inscrire l'évolution actuelle sans oublier les spécificités locales particulières qui vont donner sens à l'action et permettre aux habitants et autres acteurs de se sentir à la fois héritiers et créateurs de leur espace commun.

 

Ces deux dernières mesures supposent au préalable, plus que tout autres, la réalisation d'un diagnostic partagé c'est-à-dire élaboré puis réalisé avec les partenaires y compris les habitants.[5]

 

Mais toutes cependant, reposent sur trois principes incontournables :

 1- le sentiment d'appartenance (à un territoire donné ou à la société locale)

 2- la coopération

 3- la créativité

 

Elles sous-tendent la notion de projet (travail par objectifs),

la durée (à moyen terme, plusieurs années),

la participation et l'implication du plus grand nombre (toutes les catégories d'acteurs).

 

   En effet, à l'inverse des fonctionnements habituels où sont en jeu la plupart du temps des relations de dépendance, dépendance au savoir (les professeurs, les experts et les savants), dépendance au pouvoir (les leaders, la hiérarchie, l'administration, les élus et gouvernants), ce type d'action participative suppose à la fois des relations transversales à caractère égalitaire et du non-savoir partagé, de l'espace vide qui seul permet une véritable participation et de la co-création. Alors, chacun participe, amène sa pierre à la construction d'un ensemble mais en n'ayant aucune maîtrise ni sur le résultat ni sur les processus à venir.

   Plus que des "actions", il s'agit d'une "démarche" (marche ensemble), démarche coopérative dans une approche globale (appréhendant la globalité de la situation locale), inscrite dans un contexte environnemental, et de facture démocratique et citoyenne.

 

     Je ne peux éviter de faire référence à Hannah Arendt lorsqu'elle fait l'apologie de "la fragilité des affaires humaines".

En effet, l’Action, en tant que réalisée dans l’espace commun, l’espace politique du "vivre ensemble", est, par essence, dans le non maîtrisable.

« La faculté humaine sous-jacente qui seule peut être à l’origine de cet état de choses n’est pas une faculté "théorique", contemplation ou raison : c’est la faculté d’agir, de déclencher des processus sans précédent, dont l’issue demeure incertaine et imprévisible dans le domaine, humain ou naturel, où ils vont se dérouler.

[…] - on déclenche des processus dont l’issue est imprévisible, de sorte que l’incertitude plus que la fragilité devient la caractéristique essentielle des affaires humaines. » [6]

 

   Aujourd'hui, face à l'évolution des lois et des mentalités, cette démarche est à contre-courant, et à double titre car s'affirment de plus en plus :

- le besoin de maîtrise accentué et dans tous les domaines de notre existence (assurances multiples, principe de précaution, recherche à tout prix du responsable, etc.)

- la dissociation, souvent vérifiée, entre ceux qui pensent et décident et ceux qui agissent

 

  La démarche de DSL ne peut exister sur ces principes, reflets d'une certaine vision de soi, du rapport aux autres, du rapport à l'instance supérieure (l'Etat, les gouvernements divers, le patron, etc.). En ce sens, il s'agit bien également d'un choix politique ; choix plus précis aujourd'hui compte tenu du contexte.

 

Être dans une démarche de développement communautaire, c'est une posture et un positionnement personnel, comme il est dit plus loin, mais c'est aussi

 

                         une vision du monde et donc un choix politique [7]

 

  Il y a trente ans, nous pouvions nous essayer parfois à de telles pratiques de développement ; les institutions regardaient de loin et laissaient faire, sûres du peu de résultats et que cela ne les ébranlerait pas. Aujourd'hui, la configuration n'est plus la même ; une volonté politique de reprise en main par les institutions se vérifie comme en France, qui fait du DSL l'intervention sociale à la mode dont les conseils généraux (entre autres) s'emparent sans y mettre forcément le contenu global ; ceci se constate pareillement dans d'autres pays, et notamment au Canada, fleuron du travail communautaire durant de longues décennies avec un département spécifique au sein des Ministères (reconnaissance officielle de cette particularité) aujourd'hui rattaché au ministère de la santé, signe du contrôle de ces pratiques et de la dérive des objectifs (le soin).

 

   Les élus et les décideurs de toute sorte craignent de telles démarches. En effet, ils ne sont guère habitués à la confrontation ni au partage du savoir et du pouvoir, et certains ne le veulent pas du tout. Au-delà de leur choix idéologique et politique, reconnaissons aussi qu'ils ont rarement appris de telles façons de procéder (la mise en place des comités de quartier, démarche de démocratie participative, reflète clairement ces difficultés). Certains, relativement sincères, sont d'une maladresse épouvantable par manque d'expérience et de formation, également par peur du risque, de la non-maîtrise. Tout autant, les habitants-citoyens ne sont pas plus expérimentés ; la plupart ne savent pas travailler en groupe et n'osent pas prendre leur place, le pouvoir qu'ils ont, ni leur qualité d'experts particuliers. Ils ont également tendance à être dans la revendication et à attendre que "cela vienne d'en haut".

 

   Dans les années 1970, le travail social communautaire répondait à l'aspiration des travailleurs sociaux à une modification de leurs bases culturelles (sortir des schémas d'assistance) et à leur désir de changement des pratiques. C'était à la fois une autre façon d'être et d'agir, une autre façon de penser le travail social et de réfléchir sur ce qu'est "le social".

   Aujourd'hui ceci reste valable, mais s'inscrivent aussi d'autres enjeux plus larges et d'une autre nature. Le développement local est, plus que jamais à l'heure de la mondialisation et des extrémismes de tout genre, un enjeu politique dans la mesure où, à travers cette démarche, s'invente une autre manière de vivre et de prendre place dans l'espace commun en s'emparant collectivement de son destin et de l'avenir de l'ensemble.

S'expérimente ainsi une autre façon d'être en démocratie, en créant concrètement et localement, des micros réalisations porteuses de grandes choses qui ancrent les gens dans de nouveaux comportements au travers de leur participation réelle à la vie collective et au façonnage de leur société locale.

 

   Chaque fois que, dans un endroit donné, quelque chose se fera dans ce sens, s'exprimera un peu plus d'humanité et d'ouverture collective à l'intérêt commun, valorisant la condition de l'Être Humain.

 

  Quelle que soit "La Politique" en vigueur au pays, le vivre ensemble nous appartient, nous n'avons pas à déléguer ni à nous décharger totalement sur des représentants que nous élisons ou sur des espérances mythiques de la toute puissante science presque déifiée. Bien sûr, les lois qui cadrent et régulent notre société, la nation, l'Europe, le monde, sont indispensables. Mais le savoir vivre ensemble nous concerne et tant que nous saurons sortir des intérêts partisans, rétrécis à un groupe ou à une croyance (idéologique ou religieuse), il n'y a aucun danger car celui-ci me semble être de l'ordre de l'imaginaire. Ensemble, dans la réalité, nous pouvons être vigilants et repérer comment, au travers d'actions concrètes et à la lecture de nos comportements, nous nous laissons envahir par un héritage culturel et psychologique qui nous empêche de vivre spontanément sans craindre et désirer à la fois le pouvoir et la dépendance. Prendre conscience de cet héritage et pouvoir s'en dégager est une tâche difficile. Une cocréation, quelle que soit sa forme, au sein d'un collectif qui trouve cette qualité humaine d'échange et de partage, peut nous libérer de cet héritage et nous amener à une autre expérience. Alors, nous pourrons oser construire un nouveau vivre ensemble.

Nous touchons ici un problème philosophique et politique grave, au cœur de toute société :

- la reconnaissance de la responsabilité de l'agir ensemble sur ce qui nous concerne.

- l'équilibre et l'articulation entre le pouvoir de l'état et la puissance du peuple (pris dans sa diversité, sa pluralité et son unité), le véritable enjeu démocratique toujours à l'œuvre et nécessitant une vigilance permanente.

- à un niveau plus quotidien, la différence entre le cadre structurant et régulateur et le pouvoir autoritaire et moral ; entre l'autonomie incluant l'inter-dépendance, différente de la dépendance et de la soumission.

 

  C'est pourquoi le développement social local ne peut pas être seulement un outil d'intervention sociale ; plus qu'une méthode de travail, c'est toute une démarche qui touche la personne, la collectivité-société dans ses différents aspects, et conduit à une transformation des rapports sociaux et de leur inscription dans un monde donné, pouvant à terme, aboutir à la modification même de ce monde-territoire. Être conscient de cet enjeu, permettre cette conscience aux co-auteurs de l'Action et assumer cette gageure, c'est déjà se donner les moyens de réussir.

 

Nicole

Cachan, Décembre 2004

 

[1] Maurice Blanc, lors de la biennale UNAFORIS 2010, Union Nationale des Acteurs de Formation et de Recherche en Intervention Sociale.

[2] Initiée par le Général de Gaulle en 1966 et réalisée sous la présidence de Giscard d'Estaing

[3] G. Gontcharoff créateur en 1959 de l'ADELS, Association pour la Démocratie et l'Education Social et Local et adhérent pendant quelques années au PSU, Parti Socialiste Unifié. Actif au sein du Club « Habitat et vie sociale », il participe au groupe interministériel sur le même sujet créé en 1977. Après la victoire de la gauche, en 1981, il entre au cabinet du ministre de la solidarité nationale, d'abord occupé par Nicole Questiaux, puis par Pierre Bérégovoy. Il travaille d'abord à la mise en place d'une politique de développement social des quartiers, puis est chargé de travailler sur la décentralisation de l'action sanitaire et sociale, et notamment la création des centres communaux d'action sociale. Il est un des principaux artisans des États généraux des pays qui se tiennent à Mâcon en 1982 et prend alors le secrétariat général de l'Association Nationale pour le Développement Local et les Pays (ANDLP) fondée à cette occasion. À partir du milieu des années 1980, il s'investit dans la promotion de la décentralisation, publie de nombreux ouvrages à ce sujet, et intervient dans diverses formations, y compris à l'ENA. Il est co-auteur avec P. Mauroy de la première loi sur la décentralisation en Juillet 1981, modifiée en première lecture car trop d'avant-garde, puis appliquée par les Lois Defferre en 1982 et 1983.

[4] Plus tard, des expériences en Belgique et au Canada vont également servir de repères formateurs pour les professionnels français

[5] Dans le chapitre démocratie participative, j'expliquerai les différents niveaux de participation des habitants, dont certains nommés à tort "démocratie participative".

[6]  Cf. "la condition de l'homme moderne", Hannah Arendt, Ed. Pocket -Calmann-Lévy, coll. Agora, 1994

[7]   De Politikos, en grec, "de la cité", ce qui est relatif à la cité

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