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Prairie alpine

Constitution d'un groupe ou d'une équipe

   Aborder ici la question de l'équipe peut surprendre mais, comme nous le vérifions tant au niveau des actions de développement social que dans le cadre des démarches participatives, ces pratiques se réalisent exclusivement au sein de groupes. Il me semble donc nécessaire de rappeler les bases permettant à un groupe non seulement de se constituer et de durer - tout au moins durer le temps nécessaire - mais aussi d'œuvrer ensemble, en cohérence, vers un but commun.

   En effet, la constitution d'une équipe se fait sur la base d'un projet commun à coconstruire et à co-réaliser. C'est un lieu d'auto-apprentissage et d'expérimentation qui, engrangés, seront utiles constamment, à savoir :

-    Connaître la dynamique de groupe

-    travailler par projet

-    définir des objectifs clairs finalisés

-    évaluer régulièrement l'adéquation entre objectif, moyens et actes posés

 

 

   Très souvent, un groupe se constitue sur un projet d'action, se réunir pour faire ceci ou cela. Rarement sont explicitées les finalités qui donnent du sens à cette action ; on fait pour faire, sans réfléchir aux raisons profondes de ces actes.

 

Un exemple : une association de randonneurs, objectifs : marcher, faire de l'exercice physique, découvrir des paysages ; il arrive parfois que certains quittent le groupe parce qu'un objectif n'a pas été précisé préalablement et qui a son importance : randonnée sportive, marche rapide et chemins difficiles ou randonnée plus tranquille permettant à chacun de suivre son rythme et choisissant un parcours adapté ? Les intentions de chacun ne se sont pas exprimées et n'ont pas fait l'objet de discussion. Chacun s'aventure croyant que ce qu'il espère va se réaliser, mais le désir des uns ne correspond pas au désir des autres, d'où conflit éventuel et dislocation du groupe. Cela se vérifie très souvent au sein d'associations quelles qu'elles soient. La finalité principale n'a pas été définie ensemble. Pour une partie des participants, le but final prioritaire est de faire du sport au travers de la randonnée, pour d'autres, l'objectif prioritaire est de randonner à travers quoi ils bougent leurs corps en utilisant la marche. Nous pouvons transposer cet exemple dans tous les domaines y compris dans des actions à dimension sociale.

Dans les actions partenariales, ce préalable, la co-définition de la finalité, est le plus souvent ignoré.

 

Je prends l'exemple de mon expérience de responsable de circonscription d'action sociale, 1974-1989, pour expliciter cette question.

En tout premier lieu, les préalables

Vous le vérifierez dans tous mes écrits, je considère cette phase des préalables indispensable et je l'ai toujours appliquée dans ma pratique professionnelle. Contrairement à ce que beaucoup pensent et expriment, ce n'est pas du temps perdu, notamment au travers de "réunionite aigüe" comme je l'ai souvent entendu dire, c'est du temps de gagner pour plus tard. En effet, faire connaissance mutuellement, poser le cadre ensemble au départ, quitte à le modifier par la suite si nécessaire, inscrit le territoire commun. Chacun peut ainsi s'approprier les repères, il sait "où il est" et "avec qui".

Ainsi, bien que n'ayant aucun pouvoir de décision, j'avais demandé à la chef de service d'avoir un entretien avant l'embauche, avec chaque candidat souhaitant travailler à la circonscription. Elle avait accepté. Le déroulement était toujours le même : présentation de la personne, ses motivations à faire ce métier de travailleur social, ses motivations quant au choix de la circonscription. De la même façon, je me présentais, j'expliquais les raisons pour lesquelles j'avais choisi ce poste à responsabilité, j'explicitais ma conception du travail social et du travail d'équipe, je précisais les objectifs principaux et je donnais des informations sur la situation de l'équipe à ce moment précis. Manière de présenter le décor et les grands axes de travail. Au candidat de décider s'il souhaitait ou non, jouer sa partition dans cet ensemble. Je transmettais ensuite mon avis au chef de service. À chaque fois, j'ai remarqué que cet entretien préalable facilitait grandement l'immersion dans l'équipe.

 

Plus tard, lors des missions que j'avais auprès de groupes en tant que consultante, je procédais également de façon similaire. La première matinée était consacrée à la présentation de chacun et notamment dans son rapport au sujet à traiter et les raisons de sa présence en ce groupe-là et ce temps spécifique de formation. Je me présentais également et explicitais la mission que j'avais reçue et acceptée et comment je voyais le travail à faire ensemble. Puis venaient de la part du groupe des réactions et des questions à ces propos. Ensuite, sur la base d'un accord on fixait ensemble, les règles de base de ce travail de groupe tant au niveau concret matériel qu'au niveau du fonctionnement du groupe (les horaires, le rythme, le respect de la parole de l'autre, le non-jugement, etc.).

La place particulière de chacun

Travailler en équipe suppose d'être dans lieu, dans un espace matériel qui est à la fois commun mais où chacun peut également se sentir "chez lui" pour avoir de bonnes conditions de travail : au minimum un bureau et un espace rangement spécifiques.

Mais, si la place de chacun doit être respectée sur le plan matériel, elle doit l'être également au niveau de sa participation au groupe. Chaque personne a son originalité, des compétences particulières, des souhaits également. Cette reconnaissance va favoriser la construction de l'équipe. En effet, un groupe ne se constitue pas sur la base de l'homogénéité mais sur la diversité et la complémentarité. C'est la richesse des différences, acceptées, mutualisées, qui vont créer la dynamique du groupe et influer sur les compétences de l'ensemble et donc sur la qualité du travail effectué, et au final, sur la sécurité et la joie d'œuvrer ensemble.

Une équipe ne peut exister sous la contrainte, elle se fonde sur l'adhésion volontaire des participants, leur désir de faire de belles réalisations où chacun apporte sa contribution, avec ce qu'il est, et dans une perspective commune.

Une éthique et un objectif commun

Cependant, si la diversité des participants est utile et même souhaitable, l'équipe a besoin pour exister réellement, de s'organiser autour d'une unité : la raison d'être ensemble au-delà des intérêts particuliers. Si je garde l'exemple de la circonscription d'action sociale que j'ai animée à Etampes, l'unité s'est faite au fur et à mesure que l'on précisait ensemble en réunion de travail, ce que nous considérions comme les objectifs fondamentaux du travail social et les valeurs que nous estimions essentielles à ce propos. Ceci faisait la différence avec d'autres équipes. Nous allions au-delà du "savoir bien travailler".

Nous explicitions notre manière de concevoir notre rôle et notre posture vis-à-vis des personnes qui nous sollicitaient. Je le précise dans ma présentation : l'action auprès des personnes en difficulté, consiste-t-elle à les conduire à être de sages citoyens respectant les règles administratives s'ils veulent être aidés et donc rentrer dans la normalité voire la soumission ? ou notre rôle de travailleur social est-il de les écouter, de les accompagner à être au mieux avec eux-mêmes et leur entourage familial ou social ? Dis autrement, sommes-nous avec autorité des gardiens de la "bonne" société, ou des médiateurs-accompagnateurs pour que la personne arrive à un minimum d'équilibre pour elle-même et son entourage ? Ayant quittée depuis longtemps ce milieu du travail social, je ne sais pas où en est la situation actuellement. Mais à l'époque, la concrétisation de ces deux tendances était très visible et parfois avec des conflits larvés tant entre travailleurs sociaux que dans le rapport qu'ils avaient obligatoirement avec les services administratifs dont ils dépendaient, sans ajouter la contrainte des circulaires ministérielles ou décrets …

Des exemples concrets : quand je suis arrivée à Etampes en 1976, était présente une assistante sociale âgée, imprégnée de l'ancienne mentalité des infirmières visiteuses et avec la phobie de la maltraitance vis-à-vis des enfants. J'ai su que lors des visites à domicile, elle se permettait, bien sûr sans autorisation, de soulever le couvercle des marmites pour savoir ce que la mère de famille préparait pour le repas. Dans les mêmes temps, je recevais plus d'une vingtaine de signalements d'enfance en danger par mois, évidemment de façon anonyme. Les enfants nés d'une mère non instruite et limitée intellectuellement étaient retirés de la mère et placés systématiquement en pouponnière.

 

Des exemples qui peuvent choquer aujourd'hui mais qui ne sont pas si vieux que cela ! Combien d'enfants récupérés à la sortie de l'école et placés à la DDASS sans que les parents ne soient avertis ? Combien de retraits d'enfants déguisés en abandon parce que les parents étaient considérés comme incapables d'élever correctement leur enfant et qui conduisent au final à l'abandon réel administrativement ?

Cela a duré longtemps ; peut-être encore aujourd'hui ?

C'était, de façon exagérée mais réelle, une conception du rôle de l'assistante sociale, gardienne de la société ! Ma première réaction a été de dire haut et fort à ceux qui voulaient l'entendre que je ne répondrais jamais à des signalements anonymes. Je savais que la rumeur allait se répandre. Ceci, quitte à prendre des risques. Par précaution, j'avais au préalable fait moi-même des visites à domicile pour rencontrer les familles signalées pour vérifier l'inutilité de ces signalements. Je me souviens notamment que l'une d'entre elles était végétarienne ce qui expliquait que l'enfant ne mangeait pas de viande à la cantine et qu'il était pourtant estimé en danger, et d'autres du même style ! Après cette décision, je ne recevais plus que trois ou quatre signalements par mois, ce qui était déjà beaucoup, mais ils étaient plus circonstanciés. Nous les traitions comme il se doit et avec notre façon de faire.

 

Cependant, merci à cette situation ! Elle nous a obligés à nous confronter à cette réalité et à réfléchir ensemble comment nous allions répondre. Nous savions que nous étions sur une partie sensible et comme sur un fil. À cette époque, suite à l'affrontement entre deux courants de pensée et donc d'enseignements dans les écoles d'éducateurs[1] ; reflet de l'opinion publique mais aussi de certains politiques, il y avait de nombreux procès en Assises où les assistantes sociales étaient convoquées pour raison de "non-assistance à personne en danger", et la presse s'en gargarisait accentuant ainsi les effets sur l'opinion publique (comme elle le fait toujours) !

 

Sur le territoire de la circonscription, il y avait effectivement bon nombre de familles potentiellement à risque. Nous vérifions à chaque fois, que la quasi-totalité des familles rencontrées étaient constituées de parents ayant eux-mêmes été confiés à la DDASS[2] et souvent maltraités dans leur enfance. Nous avions décidé de faire le maximum pour stopper ce cercle infernal de la répétition, bien connu en psychologie, et qui se reproduisait de génération en génération. Nous avons donc débattu entre nous pour déterminer la façon dont nous pouvions répondre au mieux à ces situations difficiles et délicates. La diversité des tempéraments, des professions - assistantes sociales, éducateurs, puéricultrices, médecin de PMI (Protection Maternelle et Infantile) - et des savoir-faire, permettait à la fois une analyse assez complète des situations et aussi un éventail large de solutions possibles. Nous avons donc recherché puis décidé, du mode opératoire le plus adapté et convenant à tous comme à chacun.

 

Il est important que chacun se sente bien en cohérence avec lui-même au sein d'une décision commune.

 

Sur ces bases, nous avions instauré des réunions dites de prévention, afin que chacun puisse exposer une situation difficile, exprimer ses doutes ou ses interrogations, recevoir l'avis ou les conseils des autres membres, ceci permettant d'esquisser peu à peu la meilleure réponse possible, dans l'instant présent. À la suite de quoi, une décision était prise quant à la suite du travail, avec des orientations claires, parfois l'intervention en complément d'un autre professionnel, intervention en duo avec des rôles distincts pour chacun. Ces réunions d'équipe - réunions techniques - étaient ouvertes à tout travailleur social exerçant sur le territoire en milieu ouvert et sur la base du volontariat.

 

Sans nous en rendre compte au début, c'est au sein de ces réunions de travail que nous avons validé nos orientations de départ, puis élaboré et consolidé par la pratique quotidienne réfléchie, les éléments fondateurs de l'équipe : une éthique professionnelle et des objectifs communs centrés sur le respect des personnes. Ces réunions permettaient aussi la validation permanente sur la cohérence entre moyens et objectifs, évitant les dérives possibles quand l'émotionnel prenait le dessus (ému par la situation qui peut faire écho à une partie de soi, la peur de mal faire ou d'oublier quelque chose d'important, crainte de la pression extérieure, etc.).

Chaque année également, je proposais à l'équipe un séminaire de deux jours consécutifs, au vert, dans un lieu propice à la détente et à la sérénité, une grande demeure entourée d'un parc boisé qui accueillait un foyer pour femmes avec enfants. La directrice nous offrait l'usage d'un espace spécifique où nous pouvions travailler tranquillement. Ce temps, hors des contraintes habituelles, nous aidait à prendre distance avec le quotidien, l'urgence des réponses et dans un espace géographique nouveau. Nous pouvions alors laisser venir toutes les idées, les imaginations, les questionnements et les doutes aussi. Un temps pour voir et ressentir différemment ce que nous faisions. Temps de ressourcement, d'aménagement technique si besoin, de consolidation de l'aventure collective professionnelle et humaine.

 

 

De la pluridisciplinarité à la transdisciplinarité

L'élaboration progressive des objectifs et de l'éthique que nous avions élaborés, a modifié peu à peu les frontières entre nos différentes professions. Il faut savoir que nous formions une équipe non seulement avec des métiers différents mais aussi des services différents, chacun avec un chef de service particulier, au sein de la même direction départementale. Les éducateurs-éducatrices dépendaient de l'Aide Sociale à l'Enfance, les puéricultrices et médecin du service de PMI, les assistantes sociales et moi-même sous autorité de la chef du service social. Au début, chacun avait tendance à se référer à "son chef", plus qu'à la responsable de circonscription, surtout les professionnels de santé habitués, de par leur formation, à l'autorité hiérarchique. Mais, de plus en plus attentifs à faire au mieux dans l'intérêt des familles et reconnaissant la sécurité qu'apportait ce travail à plusieurs, les réticences disparaissaient. Chacun conservait la spécificité de son métier et de son rôle mais au service d'un projet pour la famille. Ils n'étaient plus à travailler "à côté" des autres, mais "avec" les autres dans une complémentarité qui s'affinait progressivement. Les caractéristiques de chacun ne s'estompaient pas, elles prenaient toute leur place dans une nouvelle synergie de partage des compétences.

S'opère en premier lieu, la reconnaissance des différents rôles et compétences ; les participants ensuite, s'appuient sur ces différences pour réaliser collectivement et chacun selon sa spécificité, un projet commun décidé et élaboré ensemble et dont les objectifs sont partagés par tous. Tous centrés sur  « l’objectif à atteindre » et chacun y concourt, intégrant et dépassant les différences. Quelque chose d'autre se produit alors, comme une sorte d'alchimie, de transcendance.

 

 

La création d'un égrégore

Dans cette expérience professionnelle particulière, je retrouvais mes fondements et les partageais avec les professionnels œuvrant avec moi, à savoir : chercher le développement de l'autre, qu'il soit individu-personne ou groupe, en lui laissant la responsabilité de ses choix et en se mettant à son service pour l'aider dans le discernement de la situation et la perception de solutions choisies par lui-même. Nous avions réussi cet exploit malgré les contraintes règlementaires, en utilisant tous les interstices possibles, notre conviction et notre imagination.

 

À un moment, trois assistantes sociales ont quitté la circonscription pour raisons personnelles. L'une se mariait, une autre partait au Canada, et la troisième faisait le choix de travailler à Paris dans un autre service. Ces départs ont eu lieu rapidement, en quelques mois. Il fallait donc remplacer les postes vacants et procéder à de nouveaux recrutements. Peu de temps après la venue des nouvelles assistantes sociales, j'ai remarqué qu'elles avaient intégré très vite les pratiques et les positionnements des collègues. Surprise, je me disais "c'est comme si les murs respiraient et leur soufflaient la manière d'être et de faire". Intégrées dans l'équipe comme si elles y avaient toujours été !

J'ai appris bien plus tard, qu'effectivement, une telle cohérence entre intention et action, entretenue par quasi l'ensemble de l'équipe avait produit ce qu'on appelle un égrégore.

 

« La concentration des personnes réunies dans un même but, avec les mêmes pensées intenses crée un égrégore qui se constitue, se développe, s'amplifie et devient actif. C'est un agrégat de forces constituées de courants vitaux, émotionnels, mentaux et spirituels, suivant la qualité vibratoire de la forme pensée aurique. Ces courants vitaux, créés par le groupe d'individus duquel l'égrégore est issu, pénètrent la conscience du groupe sous forme de désirs, de concepts et d'aspirations. La patrie, la république, la justice, la guerre, la paix ne sont rien d'autres que des images égrégoriques.

L'égrégore est une forme-pensée ou champ énergétique construit par un groupe de personnes ayant la même intentionnalité et vivant les mêmes émotions : amour, haine, colère, compassion… Un ensemble de personnes qui se focalisent sur un même objet, avec une certaine intensité, déploient une énergie mentale, affective, passionnelle, spirituelle… qu'ils mettent en commun. Cette activité concentrée sur un objet en particulier, génère une forme pensée ou, champ énergétique composé d'énergie mentale, émotionnelle, spirituelle. Généralement définit comme une « énergie psychique collective », que l'on retrouve aussi bien dans les associations sportives, les entreprises, mais aussi les partis politiques ou encore les religions.

L'égrégore est une énergie structurée par l'objet sur lequel elle se finalise, et remplie de toutes les émotions que les participants mettent en commun. L'égrégore condense, rassemble ce que chaque membre y apporte. Et chaque membre, du coup, reçoit de l’égrégore dans lequel il entre, plus que ce qu'il a apporté. Il y a donc interaction entre les membres du groupe et l’égrégore.

Ce sont les membres rassemblés qui constituent l'égrégore, mais cet égrégore va adombrer les membres. Les membres sont donc sous l'ombre, ou a l'ombre de l'égrégore, qui est comme un nuage au-dessus d'eux. Et il y a bien interaction au sens où le membre nourrit l'égrégore, mais l'égrégore agit sur le membre.

Faute d'être entretenu et nourrit régulièrement, un égrégore se désagrège et meurt car il n'est pas autonome comme on peut le voir.» Jean-Paul Thouny, thérapeute énergéticien

 

Je garde un profond souvenir de cette période, de la richesse de ce groupe et de cette expérience partagée.

Mais, comme je le disais précédemment, une telle équipe ne se construit que sur le volontariat, nullement sous la contrainte.

Deux assistantes sociales exerçant sur le canton voisin, n'avaient pas leurs bureaux dans les locaux de la circonscription. Elles venaient de temps à autre, également aux réunions de service, mais évitaient les réunions de nature technique. Elles ne souhaitaient pas exposer en équipe ce qu'elles faisaient par crainte du groupe disaient-elles. En réalité, elles s'autorisaient du fait de leur éloignement relatif du siège de la circonscription, une grande liberté dont elles usaient largement, notamment au niveau des horaires de travail et parfois même sur la qualité de leurs actes professionnels. Leurs collègues le savaient et je n'étais pas dupe. Mais, lorsque l'une d'elles vint me voir affolée, craignant avoir mal estimé une situation familiale qui pouvait entrainer des conséquences graves, et me dit "Nicole, tu me couvres ?" je lui ai répondu "Non". Autant je pouvais me porter garante de la qualité du travail des membres de l'équipe que je connaissais, et j'avais toujours affirmé que j'en porterais moi-même la responsabilité s'il arrivait quelque chose de fâcheux, autant là ce n'était pas possible. Je ne connaissais pas cette famille, je ne savais pas ce qu'elle y avait fait. Il n'était pas question pour moi de couvrir ce que je ne connaissais pas. Je lui ai rappelé les modes de fonctionnement de l'équipe notamment les réunions de prévention où elle pouvait exposer ce qui était et avoir l'aide des collègues comme de moi-même. C'était le lieu pour cela. Elle est partie très en colère et je n'ai pas cédé. Quelque temps après, elle vint à la réunion exposer la situation. Il fut décidé que l'éducatrice interviendrait avec elle dans la famille pour faire l'évaluation et participer à cette nouvelle étape de travail.

 

Je n'avais pas de fonction hiérarchique. Au début, je pensais que cela était gênant mais très vite, j'ai perçu que c'était une chance. En effet, aucun lien d'autorité ne pouvait s'exercer vis-à-vis des membres de l'équipe. Je prenais à la lettre cette mission particulière (d'autres responsables ont fait cependant le choix d'être dans une posture d'autorité). J'assumais exclusivement un rôle fonctionnel que j'ai assumé comme tel le plus possible. Une seule priorité, la qualité du travail reposant sur le bon fonctionnement de l'équipe et la cohérence de l'action. La place était ouverte pour aller dans ce sens et proposer cette ouverture aux professionnels qui œuvraient avec moi. Ils l'ont saisi. C'est ainsi que nous avons cheminé ensemble, dépassant les limites étroites du rôle social habituel.

 

Je leur en suis encore reconnaissante, gratitude pour cette expérience professionnelle et humaine peu courante !

 

 

Nicole

Sète, Mai 2022

 

 

 

[1] Une première tendance était de protéger l'enfant à tout prix contre les parents, irrémédiablement mauvais, donc par le placement systématique. L'autre point de vue était de prendre en compte l'histoire des parents et de les accompagner dans l'exercice de leur responsabilité tout en veillant à la protection de l'enfant. Nous avions fait le choix de cette deuxième formule.

[2] Ce qui s'est traduit par la suite, au travers du service de l'Aide Sociale à l'Enfance, ASE.

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