Le rapport au pouvoir
- Nicole
- 16 mars 2022
- 10 min de lecture
Dernière mise à jour : 24 août 2022
Le mot « pouvoir » est quasi immédiatement associé au pouvoir politique avec tous les sous-entendus que l’on entend actuellement ; en second lieu vient le pouvoir « des patrons » et depuis la crise économique celui de « La Finance », dernier né des responsables de tous nos maux. Nous pourrions également ajouter aujourd'hui le pouvoir de la science, d'une certaine science.
Le pouvoir est le plus souvent considéré comme pouvoir de l’autre
qui nous rend victime et contre lequel on ne peut rien, comme une sorte de fatalité, d’autant plus que le lieu de décision s’éloigne, ou parait s’éloigner de notre quotidien.
Ces réactions face au pouvoir sont également très conditionnées par la culture, ou le manque de culture, idéologique ou philosophique.
Aujourd’hui, le pouvoir est particulièrement remis en cause dans ses différentes formes et manifestations ; le concept même de pouvoir est interrogé fortement. Cette crise du pouvoir est peut-être la véritable crise de nos sociétés actuelles. De plus, elle n’est pas l’exclusivité des pays occidentaux dont la France, elle se vérifie quasiment partout dans le monde.
Il n’y a plus de guide-repère du sacré, de l’inviolable, de ce qui, au-dessus et à l’intérieur même de nos quotidiens, forme unité potentielle. « Le Grand Intégrateur » dont parlais Yves Barel[1], élément fédérateur au niveau symbolique et concret qui permet aux hommes de vivre en harmonie quoique différents les uns des autres. Crise des valeurs, effondrement ou non adaptation des grandes idéologies, des religions, crise économique, mondialisation, renforcement des particularismes, etc. qui se manifestent directement à travers l’explosion du pouvoir, soit par sa dissolution, plus personne ni plus rien ne fait autorité, ou inversement, soit par la concentration du pouvoir de façon dictatoriale ou belliqueuse. Chacun s’arrogeant le droit de faire sa propre loi.
Les grandes théories occidentales et l’universalisme ont montré leurs limites et les effets en retour. L’égalitarisme a exacerbé l’expression des particularismes.[2]
La société de consommation et l’individualisme excessif participent également à cet état de fait.
Ces temps de troubles montrent que des repères importants n’existent plus ou ont été profondément déstabilisés et que chaque groupe constitué (Etats, institutions internationales, partis politiques, religions, syndicats, etc.) cherche à sa manière, à sortir de cette difficulté, s’appuyant souvent sur une surenchère de solutions apparentes et une sur-affirmation accentuant les conflits plutôt que de trouver une solution commune.
C’est une période de grande instabilité qui génère les doutes et l’insécurité donc la peur, souvent non contenue, et qui éclate de différentes façons. Une période vécue comme dangereuse pour soi mais aussi pour l’ensemble de l’humanité. Les humains mais aussi la terre tremble à tous les niveaux.
De nouveaux fondements sont à trouver permettant de vivre ensemble, en unité et dans la pluralité. Rôle essentiel des Etats dont la fonction principale est d’organiser et de réguler les rapports des citoyens entre eux et de réguler les rapports entre ce qui est de l’ordre du privé et ce qui est de l’ordre du public. C’est aussi permettre et faciliter les échanges entre tous, tout en garantissant les droits de chacun, et dans l’intérêt général. Là, se trouve le pouvoir de l’Etat et la responsabilité des dirigeants. Où en sommes-nous de ce pouvoir et de la réalisation de ces objectifs vitaux pour la communauté ?
Nous sommes dans une société d’instrumentalisation où l’intérêt supérieur, une sorte de transcendance sociétale, est annihilé et les gouvernants ont oublié ce rôle majeur voulant à tout prix, régler des problèmes en oubliant la question centrale. Ils choisissent ce qui est bien pour nous, et non ce qui est bon pour l’ensemble. Gestion des problèmes et de ce fait, gestion des populations.
De plus, tous sont centrés sur l’aspect économique, les gouvernements, les élus, les syndicats, la population, etc. Qu’est-ce que je vais perdre ? Qu’est-ce que je vais gagner en pouvoir d’achat ? Dette, crédit, etc. L’essentiel est mis de côté. L’argent, le statut social, sont synonymes de compétition, de jalousie, de manipulation. Une société ne peut pas vivre sur ces bases-là. Les questions actuelles sur la démocratie ne résoudront rien si l'on en reste à des questions de formes et non de fond. Les gouvernants, mais aussi les citoyens, ont à se recentrer sur ce qu’est une société, dans son essence ; réinterroger rôle et place de l’Etat, comme réinterroger rôle et place du citoyen ; pas dans la perspective du droit, au sens de dû : j’ai droit à, mais de façon plus existentielle, quel est mon rôle dans cette société, comment et pourquoi j’y participe ? Parce que, agissante ou non, je participe à l’état du pays.
Active depuis longtemps au sein de la société, j’observe, j’essaie de percevoir et de comprendre les faits, les enjeux. Engagée dans l’action syndicale, associative puis politique, je fus moi-même au cœur des réalités, des espoirs, des souhaits, des revendications, des plaintes, formulés par les uns ou les autres. L’observation de la vie, des interrelations et des jeux de pouvoir locaux, analysés au regard des événements nationaux et internationaux, m’amènent à reposer pour moi-même et à partager avec ceux qui le souhaitent, la question sur les fondements du pouvoir, et d’en examiner ses propriétés. Ecoutant, observant le monde mais aussi les personnes qui s’engagent dans l’action ou qui simplement essaient de vivre, y compris dans mon entourage, je suis triste et inquiète de voir comment tout est confusion. Les dérives langagières et sémantiques dont nous n’avons plus conscience tellement elles sont ancrées dans notre culture actuelle, participent, entre autres, à ces errances existentielles.
Je fais donc le choix de revenir aux sens premiers des mots. Pour moi, le pouvoir en tant que tel n’existe pas. Il est toujours accompagné d’un attribut, ou en tant que verbe, c’est « avoir la possibilité de ». Ce qui est donné à chacun en rapport avec ce qu’il est, et que l’on oublie.
Il est intéressant de voir comment ce concept est vécu, imaginé par chacun. Analyser non pas la question « du pouvoir » dans son institutionnalisation et au niveau macro, la société globale, mais davantage dans la manière dont il est actualisé, imaginé, utilisé ou rejeté par les êtres humains et citoyens qui composent la société dans son expression quotidienne, interférant inexorablement sur l’ensemble.
Une phrase entendue maintes fois et qui se répète en écho par quiconque, a été l’élément déclic de ma recherche : « Le pouvoir détruit l’homme et le corrompt ».
Combien de fois n’avons-nous pas entendu cela, autour de nous ou dans les médias ? Confiant alors au pouvoir, un pouvoir magique destructeur.
Mais, ne serait-il pas plus juste d’inverser cette phrase et dire : « N’est-ce point l’homme qui pervertit le pouvoir et en fait mauvais usage ? »
Aussi, qu’est-ce que le pouvoir ? A-t-il une identité propre et laquelle ?
Le pouvoir n’est que la représentation que nous nous en faisons, représentation et construction imaginaire de chacun comme de l’imaginaire collectif.
Le substantif : propriété particulière d’une fonction, d’une substance, d’un appareil ou d’un instrument. Il est le plus souvent associé à un autre nom. Le pouvoir des élus, le pouvoir judiciaire, le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel, le pouvoir d’attraction d’un aimant, d'une planète, etc.
Il est aussi associé à autorité : parvenir « au » pouvoir de l’Etat, d’une entreprise, c’est-à-dire à un poste de commandement ; à ce qui permet de « pouvoir davantage » qu’en étant subalterne.
Le verbe : être en possibilité de, avoir la faculté, le droit, l’autorisation de faire ; être en état de, être capable de.
Peuvent s’ajouter les différentes déclinaisons : être au pouvoir, avoir le pouvoir sur quelque chose ou sur quelqu’un, être en pouvoir de… Faire l’apprentissage du « non-pouvoir » ou plus exactement expérimenter le passage du « pouvoir sur » (le vouloir diriger ou changer soi, les autres, le monde) au « pouvoir être », être Soi !
Redéfinir ce mot, ses fondements et ses attributs, remettre à l’endroit si j’ose dire, ce qui a été peu à peu et délibérément dévié.
Tout, dans notre monde actuel, est fait pour nous faire perdre la raison, la réflexion. Tout devient émotivité exagérée, réactivité, immédiateté, broyés que nous sommes par les crises diverses, la violence qui devient centrale et les flots médiatiques.
Faire émerger à nouveau la conscience de qui nous sommes en tant qu’être humain. Car changer la société ne peut passer que par notre propre changement personnel, individuel, chacun de nous. Notre responsabilité collective ne peut être que si, au préalable, nous faisons le retour sur nous-mêmes. C’est une véritable révolution, un retournement à entreprendre. Je pense à ce film « Cuba, l’utopie blessée »[3] où un historien cubain interviewé disait ceci : « C’est par l’éthique et la culture que nous pourrons revenir aux bases de la révolution et retrouvé le développement de notre pays. » Je le crois profondément ; éthique et culture sont les bases d’une société sereine et en développement. Enthousiaste donc, mais aussi avec modestie, je tente d’y contribuer à ma façon.
Pouvoir choisir
La question essentielle concernant le pouvoir est le choix. Pouvoir c’est faire des choix. Quels choix ? Et pourquoi les faisons-nous ?
Nous avons l’habitude de parler du pouvoir « du chef » politique ou autre, mais le pouvoir nous appartient, à nous tous et à chacun ; c’est peut-être cela que nous avons oublié, nous comportant comme des zombis, poussés par la vie disons-nous, poussés plutôt par les habitudes, les facilités, l’environnement socioculturel et économique et que sais-je encore…
La véritable question se rapporte donc à soi : quel pouvoir ai-je pris dans ma vie pour moi-même ? La réponse à cette question éclairera le rapport que chacun entretien vis-à-vis des situations de pouvoir et les raisons de son positionnement personnel. Quelle culture du pouvoir a été intégrée ? Quelle attitude et quel usage du pouvoir personnel sont manifestés dans les actes du quotidien, dans les relations aux autres, aux événements ?
La conscience de qui l’on est et de ce que l’on fait est un élément important. Mettre en conscience ses choix, ses attitudes, nous met en situation de réelle responsabilité vis-à-vis de soi et des autres. Être en situation de pouvoir, au sens d’être responsable (y compris vis à vis de soi), où que ce soit, signifie élargir son champ de responsabilité et d’intervention et de ce fait, être en posture d’action consciente et d’autorité.
Sans oublier le pouvoir en position d'intériorité : être « en » pouvoir de développer ses capacités et son potentiel pour Être vraiment, pleinement, et laisser l’espace au renouveau.
J’ai fait le choix, je prends donc le pouvoir, d’exposer ici les éléments importants qui permettent et fondent nos pensées et nos actes autant que nos attitudes et par là, de témoigner de tous les possibles.
À tous ceux et celles qui rêvent encore et désirent le dialogue et le partage des savoir et savoir-être de chacun pour créer de nouveaux possibles.
En ce moment, dans ce monde traversé par des tempêtes de toutes natures, certains cherchent la voie spirituelle pour retrouver sens et repères ; soit en demandant compréhension et refuge au sein d’une religion, soit dans un chemin d’ouverture et d’approche de soi-même et de l’ensemble de l’univers.
Dans le même temps, peu s’interrogent et remettent en cause les fondements de la relation à soi et aux autres, déplorant davantage les méfaits de notre société bien plus que les méfaits du système éducatif et social auquel nous participons et apportons notre contribution réelle avec plus ou moins de conscience.
Nous entendons des slogans, parfois des cris revendiquant « liberté, égalité, démocratie » mais dans notre rapport à nous-mêmes, aux autres, au sein d’une famille, d’un quartier, d’une ville, au travail, à l’école, que faisons-nous des sens premiers de ces mots ? Que signifient-ils ? Et est-ce que nous les mettons en œuvre au quotidien ?
Oui, nous avons perdu sens et repères ; tout le monde s’accorde à le dire, de gauche comme de droite, du plus haut niveau de la hiérarchie au plus petit d’entre nous, l’homme civil, citoyen ou religieux. Et après ? Est-ce par slogan, injonction, autoritarisme, guerre fratricide même que cette situation changera ? Depuis des siècles nous nous en remettons à la société (au sens général), et exigeons des pouvoirs, politique ou religieux, de régler les problèmes, comme s’ils étaient extérieurs : éradiquer le covid, la grippe aviaire et toutes sortes de virus, le terrorisme, l’incivilité ; nous protéger de tous les fléaux qui viennent des banques, du réchauffement climatique, des islamistes ou des dictateurs et de toutes dérives. Mais cette perte, n’est-elle pas en nous-mêmes ? Avons-nous gardé chaque jour, à chaque acte, parole ou pensée, le sens de nos agissements et de leurs conséquences ?
Ce qui se transmet principalement ce sont nos actes et nos paroles, répétés au quotidien, beaucoup plus que les discours colportés par les vents ou les réseaux sociaux. Nous pouvons parler du respect et avoir une attitude de mépris, nous pouvons revendiquer la liberté et être dans la castration perpétuelle, nous pouvons exiger la démocratie et s’imposer dans le droit de dire et d’être écouté plutôt que le devoir d’être ensemble et d’écouter l’autre, etc. …
Nous déplorons le nombre de jeunes agressifs, déscolarisés voire délinquants. Nous catégorisons les bons, les mauvais, les exclus, les chômeurs, les profiteurs, les migrants … Avons-nous recherché, compris les causes profondes des différents malaises au point de regarder ce qui, en nous, coparticipe à cette situation ? Et, à partir de cela, rechercher quels seraient les moyens éducatifs, sociaux, politiques qui pourraient renverser la situation et permettre l’établissement d’une société apaisée ?
Une société apaisée, harmonieuse ne se légifère pas, elle se construit par le cœur des hommes et femmes « de bonne volonté » et l’énergie positive qu’ils répandent et réveillent chez les autres.
Parents, sommes-nous dans notre désir de voir l’enfant grandir selon nos rêves ou sommes-nous à l’aider à grandir dans ce qu’il est ?
Travailleurs social, enseignant, sommes-nous dans l’application d’un programme ou d’un dispositif qui formate dans un cadre normatif ou gardons-nous l’initiative d’accompagner l’autre dans sa propre évolution ?
Malgré les cadres institutionnels et sociétaux, nous avons toujours une marge de manœuvre, l’utilisation d’interstices, qui nous permettent l’exercice de la liberté, pour nous, et aussi que nous pouvons redonner à l’autre.
Nous nous rebellons contre tous ces pouvoirs qui nous écrasent - la colère est forte en cette période - mais sommes-nous des hommes et femmes qui éveillent à l’autonomie, à la liberté dans l’interdépendance ou gardons-nous farouchement la sécurité apparente des relations de dépendance ?
"L’être humain est fait de tant de craintes de par sa condition humaine que cette position lui demande effort et persévérance."[4]
Je nous souhaite d'avoir le courage et la persévérance de la responsabilité consciente et juste vis-à-vis de nous-même et ainsi d'explorer de nouveaux pouvoirs pour nous et pour l'humanité.
[1] Cf. plus loin, dans "Le principe d'unité" [2] Monique Castillo, Le pouvoir, puissance et sens, Ed. Michalon, coll. Le bien commun, 2008, Paris [3] Documentaire réalisé par Renaud Schaak, 2007 [4] Scott Peck, Le chemin le moins fréquenté, Trad. Laurence Minard, Essai, Poche, 2004,
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